Le silence règne, lourd et palpable. Vous percevez seulement les battements de votre coeur, votre souffle, court, et le bruit mouillé de vos pieds nus dans la boue. La chaleur de l'été vous endort, celle-ci semble persister malgré la nuit ambiante. Vous ne vous rappelez plus pourquoi vous êtes là. Une main mystérieuse semble vous guider, vous tirer vers l'avant, sur un chemin de moins en moins visible.
Vous êtes éclairé seulement par la faible lueur d'une lampe à huile. Elle forme un halo vous permettant de voir à quelques pauvres mètres devant vous. La flamme vacille dangereusement.
Vous pressez le pas dans l'espoir d'arriver quelque part, ou de revenir ailleurs. Ce lieu est étrangement familier.
Vous rangez le reste des os dans votre poche. Vous les enterrerez peut être plus tard au pied d'un arbre ou d'un rocher.
Vous n'avez pas le choix.
Vos pieds sont douloureux et écorchés par les petits cailloux qui parsèment votre parcours. Il y a une plume sur le sol boueux.
Elle semble être aussi large qu'une main d'enfant, ou qu'un animal de petite taille. L'oiseau n'est plus ici.
Parmi les traces que vous avez laissé à votre passage, vous devinez sur un côté du chemin un trou béant et sombre. Cette vue vous effraie, vous n'avez rien entendu, rien senti, et pourtant, ce trou se confond avec vos empreintes, comme si on l'avait creusé à votre passage.
Ce n'est pas un terrier, et vous n'êtes pas un lièvre. Vous continuez votre route.
Vous vous enfoncez jusqu'à l'épaule, puis vos doigts touchent finalement quelque chose de dur et glacé. Vous réussissez à faire bouger ce qui semble être une sphère poreuse sous vos doigts. Vous la faites tourner sur elle-même. Après en avoir fait le tour, vous exercez une pression supplémentaire. Elle craque et se perce. Vos doigts se mouillent d'un liquide épais. Vous retirez votre bras.
Vos doigts sont jaunes, vous les léchez. Vous avez tué un oeuf.
L'oeuf a un goût étrangement amer. Vous le crachez au sol.
Auriez-vous dû le garder en bouche ? Auriez-vous dû le laisser couler sur votre paume pour l'observer ? Vous n'avez pas de ressource et vous commencer à avoir faim. Est ce que tout cela est un rêve dont vous vous réveillerez à la venue du jour ?
La cabane est faite du bois de la forêt. Son toit est complètement défoncé et des planches pendent tristement de ci, de là. Les fenêtres sont condamnés et les vitres brisées parsèment les alentours de petits éclats reflétant l'astre lunaire comme une couronne d'épines. La porte s'ouvre.
La cabane vous appelle, vous presse, elle vous pousse vers son intérieur.
Vous êtes au bord du gouffre.
Un miroir immense et fêlé reflète une ombre immobile. Elle épouse la forme de votre corps. C'est l'obscurité. Elle semble vous observer dans l'attente d'un mouvement. Vous tendez le bras. Il s'enfonce au travers du miroir.
Le bout de vos doigts est glacé. Vous touchez le néant. Vous y entrez. Vous êtes dans une chambre pour enfant. Un cheval à bascule oscille silencieusement. Les draps sont défaits.
Il y a une boîte à jouets, des vêtements sur le sol, un petit bureau couvert de crayons de couleur. Les volets sont fermés. Le grand placard laisse entendre un grincement. Il vous absorbe.
Vous êtes à genoux sur le carrelage de la salle de bain. Vous pleurez. Vos larmes remplissent la baignoire et vous vous videz dans le syphon. La cabane est hantée.
A l'enfance, elle prenait parfois la forme d'un objet familier, ou d'un parent. A l'adolescence, elle apparaissait devant le miroir. Et aujourd'hui elle vous entoure, surgissant à chaque instant dans les recoins les plus intimes de votre vie.
La lumière vous éblouie, des étoiles noires dansent devant vos yeux.
La lune pleure pour vous ce soir. Pour les arbres. Pour la cabane. Pour l'herbe brûlée.
Vous vous relevez pour ne pas vous figer.
Vous devenez la terre et les feuilles. La rosée humide du matin et la boue mouillée. Vous devenez tous ces animaux que vous n'avez pas vu. Vous devenez les branches sans feuilles. Les troncs nus.
Vous êtes l'écorce et la sève morte des arbres.
Vous êtes parti.
(c) Isadora, 2023.