Poésie Portable 1 • Poésie Portable 2 • Poésie Portable 3 • Poésie Portable 4 • Poésie Portable 5 • Poésie Portable 6 • Poésie Portable 7 • Poésie Portable 8 • Salerno • Paulina • Paris • Danaette • Immemorialis • C3 • De Saint André à Cotignac • L • Laureline • Liturgiae • Nocturama

I. • II. • III. • IV. • V. • VI. • Pulsions Scopiques • Vieux frères

Adolescentia • Caretaker • Carmélites • Kinski • B1 • B2 • Q1 • Q2

Q3 • Q4 • Q5 • Acide • R • Je ne me masturbe plus • Dents de lait • Impressions d'été


Poésie Portable 1


À chaque fois l'ivresse m'emmène vers toi. Vers toi le Christ en croix à la chair en lambeaux. J'arrache du bout des dents ces morceaux pendants éparpillés de toi. Je me repaît des miettes et des morceaux. Les boucles brunes sur la langue. À chaque fois, à chaque fois, j'invoque comme une malédiction des bribes de toi pour recomposer le portrait inachevé. Enfant mort né de mon coeur. Tes yeux bleus au bord des lèvres. Je m'imagine ta voix, ton goût, ton odeur, je te veux fauve et immaculé. Saint et putain. Je nous imagine dans les couloirs de l'hôpital, le front fracassé contre le carrelage, ton beau sourire plein de dents, plein de sang.

Et toi, toi tu ne sais rien de moi. Tu ne sais que mon cul, ma fente et mes seins. Tu ne sais que mes vices et mes affres. Mais un jour, ô jour divin, je t'attendrai en bord de scène, les bras ouverts, la gorge offerte, les larmes plein les joues. Un jour, roi déchu, tu retrouvera ta gloire au creux de moi. Un jour tu te fera martyr et je me ferai proie.





Poésie Portable 2


  Briser mon crâne contre le tien
Sentir le sang de la fêlure
Dans la gorge dans le nez 

Ouvrir nos fentes de trépanés
Et souiller nos fluides
Sentir les os se cautériser 

Voudrais tu dis voudrais tu
Enfoncer ta langue jusqu'à la moelle épinière 
Et me débrancher  

Voudrais tu ô je t'en prie 
Tanner ma peau et t'en faire
Un manteau 

Juste une fois, unique et sacrée
Bousiller mon intérieur 
À coups de marteaux





Poésie Portable 3


  La langue râpeuse sur la nuque
Et les doigts au fond de la gorge 
Dans un râle étouffé

Les mains en collier 
Toujours plus fort
Toujours plus serré

Glisse tes poings sous mes côtes
Et tire pour faire exploser 

Fais le vide et le néant en moi
Et remplis moi
De toi encore de toi 

Jusqu'à ce qu'aux infos
À la radio
Ils annoncent

14.000 coups 
De ciseaux, de couteaux
Traces de défense sur les mains et les bras

Piscine de glaires et de cyprine
À l'intérieur de toi





Poésie Portable 4


  M'exploser le crâne ou
Rentrer dans les ordres
Le canon sur la tempe 
En extrême onction

Quitter les mondains et
N'affronter que les choses
Pas les gens, plus les gens

La violence de la chasse à courre
Et
Le froid, toujours le froid 
En ultime confession 

Devenir la biche,
Me cacher dans le bois 
Mordre la main tendue
Et lapper mon ventre blanc 

Près des choses loin des gens.





Poésie Portable 5


Je m'étais accroupie sur les rails poussiéreux, les genoux enfoncés dans les graviers. Battre le fer tant qu'il est chaud. Pour récupérer les restes. Les boucles brunes éparpillées plein les doigts pleines de sang. De la bouillie de chair de partout, mes cuisses cinglées de glaires. Je lappais la rouille. Je me vautrais, me roulant dans les restes et les cendres. Dans le creux de la main des ersatz de parfum. Dans la gorge la viande. Beau comme un cadavre, comme un accident de la RATP. Beau comme 3h de retard pour ces connards de parisiens.





Poésie Portable 6


Entre les branches et les cuisses, les bois et les feuillages, la langue se glisse. Râpeuse, épaisse. La salive fauve. Elle lappe à l'eau du marais. Les yeux dans les yeux. La bave mousseuse.
Elle mâche de ses dents de pachiderme les grandes lèvres pendantes. Mastique. La truffe humide contre la toison. Elle coule rouge. Elle arrache à coups de tête, secoue la chair. Les naseaux embués.
Le velours cornu tombe en lambeaux. Festival de poils, de peau et de fluides. Le nez bloqué dans la cavité tout au bout jusqu'au bout. L'odeur âcre et épaisse des entrailles merdeuses. On ne distingue plus le lait du foutre. Des bubons suppureux. Le noir giclé de blanc. Rivière boueuse de miasmes. À peine de quoi jouir, à peine de quoi pleurer.

Et entendre au loin le grondement des brames.





Poésie Portable 7


Mon coeur mou est une toile d'araignée.
S'y égarent toutes sortes d'entités
Que j'ingère,
Que je digère,
Des bouts de moi.

Il a fallut du temps pour le tisser,
De la patience et du talent,
Beaucoup d'amour,
Et le printemps.

Le matin la rosée vient y jouer
Avec les premiers rayons de la journée.
Et je brille, je brille si fort,
Que j'aveugle les égarés.

Mais la nuit tombée,
Au fond des bois, bien caché,
Tu fonces tête baissée et me déchire,
De ton bec et tes griffes acérées.

Mon coeur d'araignée est troué 
D'une balle dans la tempe
Et il n'y a plus
Ni le sang,
Ni les larmes,
Pour couler.





Poésie Portable 8


Et quand j'aurai tout à fait fini de devenir folle, que la larve se sera mue en parasite de nuit, emmenez-moi en pays de Calabre. Trouvez une maison, une pièce, faite de planches de sapin. Trouvez un arbre, un plein de sève et de noeuds. Attachez moi à lui avec les cordes de jute tressées par ceux du village. Les pieds nus je foulerai l'herbe grasse, immobile. Je sentirai le bois qui me creuse le dos, les liens qui ensserent mes seins. Et les animaux de la forêt, les oiseaux et les faons, viendront se nourrir au lait abondant de mes mamelons endoloris. Laissez les téter les giclées blanches et généreuses. Laissez les s'approcher curieusement. Je serai folle parmi les fous, on me pointera du doigt et on dira "C'est celle-ci, c'est celle-là, regardez, regardez donc la dame du bois." Et ils verront à mes pieds nus, foulant l'herbe grasse, les flaques lactées de mes mamelles extatiques.





Salerno


Le coeur au bord des lèvres
La mort au ventre
Et la peur qui ronge les os

Une mèche replacée derrière l'oreille
La délicatesse des doigts
Des plumes de hérons fines comme de la soie

Le sourire et la peine
Le rire et les larmes
Au bord de l'implosion

Des dents d'enfant
Et des yeux de chien battu
Prisonnier du petit garçon perdu

Laisse moi te prendre par la main
Et te montrer
L'homme que tu es devenu.





Paulina


Ô toi ma décadente,
Toi et ta chevelure de sang
Qui coule entre mes doigts comme un serpent.

Ô toi, infernale vision,
Poison délicat,
De toutes, je n'éprouve que toi.

Je m'enroule dans tes cils fourmis,
Tes pattes d'araignée,
Ta toile-prison.

Tes yeux de morte noyée,
Tes yeux froids comme le lac,
Tes yeux dans lesquels je suis tombée.

Ô jamais encore
La chair de ma chair
Ne m'avait attirée.

Ô toi seule et élue,
Ô Paulina,
Tu me mords et me blesse
À la lame de tes doigts.





Paris


Je pense à cette chambre cachée dans les rues étroites de Paris. Cette chambre qui n'a pas de balcon, à peine une rambarde en fer forgé pour se pencher à la fenêtre et sentir son ventre se plier contre l'acier. Cette pièce unique, avec les commodités en parties communes. Un peu sale, un peu vieilles, un peu de ce Paris d'avant. Celui de l'ennui et de la langueur, des étudiants fauchés et des journées trop longues dans l'attente des nuits.
Le parquet est vieux lui aussi tant les lourdes bottes y ont traîné. Ces bottes sur ma gorge. Les rainures sont larges et la poussière s'accumule. Elle flotte, transportée par les rayons du soleil filtrés par les rideaux blancs râpés. La nuit, une légère brise les soulève.
Il n'y a que le lit défait et une étagère à livres. Un meuble à roulettes et une télévision cathodique dans laquelle persiste une pluie magnétique. Le cendrier en verre épais est rempli de cigarettes et d'herbe. Posé à même le sol. Comme toi qui ne supportes pas la chaleur. Comme toi et tes boucles brunes qui couronnent ta tête d'une flaque de sang.
La fumée alourdit l'atmosphère et remplie les verres à facettes à moitié vides, à moitié pleins. Les bouteilles à moitié vides, à moitié pleines.
Et, c'est ainsi que tout se vide et tout se remplit : les poumons, la gorge, le lecteur de cassettes, mon ventre.
C'est ainsi que dans des nuits sans fin, tes doigts tour à tour me baisent la gorge, le sexe, partout. Entre salive et sperme. Strangulation et caresses. Je bois ta sueur à même ta bouche. Je tire tes cheveux et tu me gifles. Nous sommes des animaux, des chiens battus se réfugiant l'un dans l'autre.
Je pense à cette chambre qui peut être n'existe pas. À ta voix qui résonne dans le vide, comme un répondeur sans message. À cette unique photo de ta main. Je pense à ce rêve que l'on s'est vendu, à cette chambre qui t'a avalé à la manière d'une bouche vorace. Je pense à ce mensonge que je chéris et que tu as inventé seulement pour moi et tant d'autres.
Je pense à ce nous qui n'existe pas.





Danaette


Fin du monde aux allures de douce nostalgie. Le regard quitte la campagne rase et vallonnée, se fermant comme un soleil qui s’endort, et se rouvrant sur une vision lunaire. Lac iodé dans lequel se reflètent les étoiles, ne laissant assez de place à l’horizon que pour créer le trouble d’un espace unique et sans séparation. L’idée même de la couleur se fond ici en un indigo contenant un spectre complet de lumières pourpres et mordorées. Silence infini sur cet espace inconnu, rythmé par la respiration imperceptible d’un corps posé sur la surface.
Corps immaculé où chaque cellule renferme une planète brillante irradiant l’infinité des parcelles de peau. Blanc laiteux se confondant avec le reste. Seule la bouche et la pulpe du doigt rougissent du sommeil. Les cheveux trempés flottent et reflètent en leurs fibres le ciel qu’on ne perçoit plus. Le souffle est un appel aux chérubins qui descendent de leur trône d’airain en un glissement d’ailes. Les plumes qui s’éparpillent de ci de là s’étalent en cercle, troublant à peine le sel de l’eau. Les visages marmoréens se penchent sur le jeune corps, l’effleurent, baisent sa bouche du bout des lèvres en une caresse pure et nue. Douceur d’êtres dénués de toute intention, de tout but. Dernier sacrement, extrême onction accordée avant la fin des temps. Un manège de douceur. Les doigts se glissent entre eux, glissent de partout, sculptent le corps, le réajustent, l’étreignent, se perdent à l’intérieur.
Acte d’amour d’une soif d’idéal où le monde sera délesté de la haine, simplicité déconcertante. Les anges pétrissent le corps qui commence doucement à jouir rouge en rigoles claires. Evacuant le ressentiment, évacuant la colère, le mépris, la souffrance, atteignant l’état précis de l’extase où celle-ci se transforme en énergie transcendantale. Le silence règne sur ce tableau surréaliste, dernier souvenir terrien, un peu ici mais surtout déjà ailleurs. Une montée vers les cieux où le sexe n’a plus de nom, où le désir n’existe plus, où seul l’acte sans conscience compte.
Inutile de chercher chevaux et destriers, trompettes mortuaires et plaies, hurlements et précipitations. En ce lieu où les astres s’accouplent dans une solitude calme et mesurée n’existent que les plumes, que la peau, que l’Amour prodigué par les séraphins comme un onguent inodore. Adieu la chair, remplacée par l’absolution, et bordée d’une myriade d’étincelles recouvrant le globe des derniers instants.





Immemorialis


Je pourrais vous tuer. Arracher de mes crocs des lambeaux de chair, de peau, de fibres. Je pourrais vous saigner à blanc, vous molester, frapper de toutes mes forces votre cage thoracique, vos os, me complaire dans le craquement de tout votre squelette. Je pourrais me réjouir de cette viande molle, poisseuse, et fumante, ce petit tas de rien qui resterait après mon départ. Je pourrais vous cracher dessus, vous aveugler de mes glaires. Je pourrais hurler, crier, vous insulter, vous humilier. Je pourrais vous contraindre par la force, vous soumettre par la dépendance et le sexe, faire de vous ma chose. Je pourrai, enfin, vous faire souffrir, vous faire pleurer, vous transformer en êtres répugnants rampant dans la fange.
Mais maman m’a dit qu’on ne fait pas comme ça. Nous sommes douces et compréhensives. Attendrissantes et tendres. Nous nous levons tôt le matin, et nous nous couchons tard le soir, pour sublimer vos journées. Nous sommes avenantes, serviables, gentilles, souriantes. Nous faisons de ce monde un paradis de douceur et d’amour, pour vous. Nous sommes drôles, mais pas trop, le ridicule nous tuerait. Nous sommes intelligentes, mais pas trop, nous ne voudrions pas vous faire de l’ombre. Nous sommes belle, mais pas trop, ça serait suspect. Nous sommes délicates et fragiles, chaque mouvement se doit d’être un effort de concentration et de grâce. Nous sommes discrètes et silencieuses, nous ne voudrions pas prendre trop de place.
Alors tous les soirs maman, tous les soirs tout le temps, j’évacue petit à petit tout ce que je ne peux pas faire. J’évacue par les veines, par les hanches, par le ventre. Surtout pas les bras, il ne faudrait pas que ça se voit. Je découpe avec précision mon épiderme et je laisse s’échapper la rage, la colère, la haine, la rancœur, le ressentiment, le fiel. Tous les soirs depuis des années, je laisse sur moi les traces de l’animosité, de l’hostilité, de la sauvagerie. L’horreur est là, et au lieu de la jetée à la face du monde je la tourne tout contre moi. Je l’accueille en mon sein, je la laisse gonfler, et quand le moment arrive, j’ouvre des failles, et je regarde s’écouler lentement ce goudron noir et épais. La violence est là et s’exprime le long de cette cartographie savamment élaborée. Et quand elle avale tout, quand elle surpasse tout, il me faut un long moment pour réussir à la laisser s’échapper par le crâne. Il faut encore un temps pour qu’elle m’aveugle et coule sur mes paupières.
Ce qui s’épanche n’appartient pas qu’à moi. Ce qui s’épanche là fait partie d’un tout immémorial. Ce qui s’épanche appartient à des générations séculaires de femmes qu’on dit hystériques, enragées, psychotiques, névrosées. Des générations de femmes violées, battues, maltraitées, opprimées. Elles s’élèvent en moi en une seule et unique voix, un seul et long cri d’indignation intimant l’ordre d’ouvrir les vannes et de laisser libre cours à la brutalité, à la révolte. Un cri qui donne un droit de réponse, un droit de riposte. Un cri assourdissant, un feulement issu du fond des âges venu jusqu’à nous, jusqu’en nous, pour porter ce message : l’heure de la rébellion a sonné.




C3


Je me souviens encore de la chaleur moite de ton ventre contre mon dos et de l’humidité de tes draps. Je te sens respirer, le sommeil t’a emporté si rapidement et tu sembles si fragile que je creuse mes reins pour laisser place à ton abdomen qui se gonfle et se dégonfle au rythme de tes soupirs. Les yeux fermés je redessine la cartographie de ton corps que je viens de découvrir. Une île aux trésors qui se déroule comme une carte en partant par le centre de ton nombril. On peut te suivre à la trace en empruntant le chemin des grains de beauté qui parsèment ta peau. Tu es beau même de nuit.
Tous nos creux se retrouvent. Genoux, coudes, clavicules, mains, dans le noir on ne nous distingue plus l’un de l’autre. J’inspire et expire en même temps que toi, imaginant que j’inhale à ta place, ou que tu le fais pour moi. Plus rien ne nous discerne. Ton souffle chaud sur ma nuque m’excite, tout comme ton haleine liquoreuse. Je m’imagine boire à ta bouche et m’enivrer de toi. Soudainement l’envie de me retourner, de t’étouffer de baisers, te sentir suffoquer contre mes dents et ma langue. Je gémis presque de cette imagination débordante qui s’écoule entre mes cuisses. J’ai faim de toi.
Je presse alors timidement ma croupe contre ton sexe flasque. Hampe de chair molle et brûlante. Une de mes mains glisse le long de ma vulve pour me faire saliver. Je porte mes doigts à mes lèvres et me goûte comme si je t’avais dans ma gorge. Mes frôlements se font de plus en plus insistants. Je veux te caresser tout contre moi. C’est alors que ton sexe se réveille, étranger à ta propre conscience. Il cherche l’entrée de l’abîme, hume ses fluides et s’en gorge. Je me redresse légèrement et libère l’accès prohibé. Tu glisses en moi avec une aisance déconcertante, comme si ta léthargie avait été incomplète jusqu’ici. Tu continues de dormir paisiblement. Fusion absolue de deux corps qui ne s’entravent pas.
J’aurai aimé que tu jouisses en moi.




De Saint André à Cotignac


Une bouteille de whisky ballottait dans la boîte à gants. Il en restait un quart, chauffé par le soleil. Ses reflets mordorés donnaient à l’habitacle des allures de piscine vaseuse, la lumière évoluant en vagues sur le ciel de toit. L’étiquette à moitié arrachée laissait deviner une marque bon marché. Glissait sur le verre épais le soleil au hasard des arbres qui bordaient la route, et révélait par à coups une deuxième flasque vide dissimulée côté passager. Quant à l’odeur épaisse de la liqueur, elle peinait à s’échapper par les deux fenêtres entrouvertes, comme si l’arôme avait imprégné le cuir noir des sièges.

L’alcool, circonstance atténuante par excellence, excuse suprême, réponse à tout larcin, à toute tentative désespérée de perdre le contrôle une bonne fois pour toutes. Désaltérant été comme hiver le voyageur égaré. Mais rien n’égalait le sacro-saint whisky. Rien ne trouvait plus grâce à ses yeux que ce népenthès divin, disponible à chaque coin de rue. On pouvait repérer, de ça de là, des traces circulaires sur le tableau de bord, collantes et sirupeuses, souvenirs des multiples verres ébréchés, renversés, poisseux. D’autres tâches aux formes hasardeuses étaient, elles, l’héritage de goulots humides sécrétant au compte goutte le fond des burettes entamées.
Rien ne trouvait plus grâce à ses yeux, sauf peut être les cigarettes. Un cendrier en plastique permettait de jauger la consommation sur plusieurs jours. Plein à ras-bord, chaque mégot exploité au maximum de son potentiel. De sa poche dépassait un paquet de Marlboro, le rouge contrastant avec le bleu de son jean. Le parfum du tabac se mélangeait à celui de la bistouille, plus léger, plus sableux. De son nez et de sa bouche apparaissaient, indolentes, des volutes de fumée s’agglomérants en nuages au dessus de sa tête. Les vapeurs de cibiche glissaient entre ses doigts et léchaient la peau de son visage déjà mangé par une barbe de trois jours et une moustache noire et épaisse. La cendre rougeoyaient et revêtait les mêmes attributs que l’astre couchant, apaisante, orangée, un avant goût de la fraîcheur nocturne qui ne tarderait pas à s’installer. Les cigarettes se consument et se consomment comme les bouteilles, tout n’étant qu’une question de vitesse et d’humeur. Il tâtonna le fond de ses poches, puis le cuir de ses sièges, et se pencha pour passer ses mains sur le revêtement rêche. En se redressant, il tritura le bouton de son autoradio à la recherche d’une piste lisible, son visage s’était assombrit.
La seule radio locale disponible diffusait les hits et les actualités de la semaine. Il continua de chercher encore, faisant rouler la molette d’un bout à l’autre de la réglette avec agacement. Il tomba enfin sur les commentaires en direct du Tour de France. L’animateur sportif faisait un retour sur les événements de la journée, annonçant le palmarès provisoire et rappelant les principales victoires et défaites de ces trois derniers jours. Le son se brouillait par moment et engloutissait la voix, la remplaçant par des grésillements mécaniques. Une caisse de vinyles sur le siège passager laissait penser qu’il n’écoutait pas de musique à la radio. Comme beaucoup, il préférait sans doute l’authenticité d’un tourne-disque à la déformation des ondes qui, de toute évidence, ne semblaient pas lui convenir compte tenu du temps passé à chercher quelque chose écoutable. Les quelques pochettes lisibles retraçaient un parcours musical chaotique et désordonné allant des grands classiques au rock n’ roll en passant par la country et d’obscurs titres folks probablement chinés sur le marché aux puces du dimanche matin. L’éclectisme semblait dominer, là où les Marlboro et le whisky régnaient seuls en leur royaume, fantaisie auditive surprenant la monotonie du goût. Contraste inattendu entre les habitudes et les découvertes. L’un des disques était estampillé d’un post-it jaune délavé sur lequel était inscrit ce qui devait être quelques doux billets, rayés et raturés comme pour cacher le message.
L’air se rafraîchissait, il remonta ses fenêtres et se calfeutra dans le calme enfumé de son Alpine. D’un coup mesuré sur la pédale il accéléra, se rabattant pour prendre la prochaine sortie. Ses yeux se plissaient sous ses Ray-Ban, cachant et dévoilant tour à tour le grain de beauté sous son oeil gauche. Signe d’une nervosité mal dissimulée. Le détail du grain résumait à lui seul une personnalité qui semblait contrastée, inégale, déséquilibrée, oscillant constamment entre ataraxie et recherche frénétique du grand frisson. Au loin, on pouvait deviner les premières lueurs typiques des bordures de ville qui détachaient au premier plan les contours d’une station service de départementale.
L’enseigne Shell allumait ses premiers néons jaunes et rouges. La lumière diffuse d’une inquiétante étrangeté renforçait l’absence totale de clients. Il dirigea son Alpine vers la première pompe à essence, ouvrit la porte, jeta son mégot et l’écrasa du bout de sa bottine usée. Les cendres s’éparpillaient au sol en un motif complexe et insaisissable qui se dispersa rapidement sous le vent crépusculaire. Il huma l’air, levant son nez fin, fermant les yeux et respirant à plein poumons. L’odeur du pétrole. De ça et là, des tâches arc-en-ciel éclairaient le bitume froid. Il se dirigea vers le distributeur, saisissa la poignée, et enfonça d’un geste sec le pistolet dans le réservoir. Il semblait remplir son véhicule comme il remplit une femme : méthodiquement, sans ménagement, froidement. Il regardait autour de lui, guettant le moindre mouvement, ses lunettes opaques cachant la moitié de son visage. Le calme de la nuit semblait l’apaiser. Après avoir fait le plein, il prit le temps de faire le tour de sa voiture. Sa compagne, son amie, sa confidente la plus intime. L’Alpine était d’un bleu profond quoique usé. Sa figure élancée et ergonomique était la promesse de traversées paisible. L’aventure, la liberté, tout était incarné dans ce modèle. Ses mains glissaient sur le capot, sur le toit, sur le coffre mal fermé. Les bosselures discrètes étaient les témoins silencieux d’une conduite effrénée, alcoolisée.
Il s’adossa un instant contre la tôle fraîche, profitant de la torpeur environnante. Son moteur finissait de refroidir. Soirée typique de toutes les soirées d’été, empreinte d’une nostalgie réconfortante. Le regard perdu dans le vide, des souvenirs d’un temps passé, la solitude. La solitude terrible et écrasante, condition humaine inévitable. On naît seul, on vit seul, on meurt seul dit-on. Il semblait s’en accommoder sans trop rechigner. C’est incroyable, le règne du silence que même les grillons ne sauraient menacer. Il se mit à observer l’employé de la station qui s’affairait à son comptoir, perdu derrière les rayonnages pleins, flouté par le verre d’une vitre trop épaisse. Il devait avoir entre vingt-cinq et trente ans, comme lui. Il semblait s’imaginer cette vie. Une vie confinée du matin jusqu’au soir pour servir les rares visiteurs osant se présenter. Une vie de labeur, partir travailler le soir, rentrer le soir, et ne voir le soleil qu’au travers des grandes baies vitrées de la station. Après ces quelques minutes d’attente, il alla d’un pas pressé vers cette supérette de bord de route. La porte automatique s’ouvrit à son passage en crachotant comme un outil malade. Le lieu empestait le liquide de lavage pour linoléum. Les rayons étaient d’un blanc immaculé, aveuglant, tout était aseptisé dans cet espace impersonnel. Toutes les stations service de départementales se ressemblent, on y entre comme on en sort, inlassablement de la même façon. Ses chaussures couinaient contre le carrelage, troublant la quiétude de ce huis clos. Il passa devant le rayon frais et s’empara de plusieurs flasques et d’une bouteille de coca-cola. Il sembla hésiter face à l’étalage de produits alimentaires en tout genre : sandwichs, confiseries, spécialités régionales ... Puis se ravisa et alla directement en caisse. Le jeune vendeur était insignifiant. Ni trop gros, ni trop maigre, pas vraiment beau ni foncièrement laid. Son duvet naissant et son acné juvénile renforçait l’impression de vulnérabilité qui émanait de lui. Sa voix nasillarde et frêle contrastait avec la voix chaude et grave du conducteur de l’Alpine qui réclama trois paquets de Marlboro, un briquet bic, et une boîte d’allumettes. Ils échangèrent à peine un regard, se parlèrent peu. Encaissement, emballage, sortie. La climatisation glaçante avait rendu l’air du soir plus chaud, plus accueillant. Il passa à l’arrière de sa voiture et tenta de fermer complètement le coffre en donnant plusieurs coups, sans succès. Il retourna alors à son volant, claqua sa porte d’un geste sec, et fit ronronner le moteur avant de retourner sur la route plongée dans une nuit noire que seules les périodes estivales peuvent offrir.
Seuls les phares éclairaient la route cahoteuse. La campagne française révélait sa suprématie et sa majesté. Verdoyante, épaisse. Les arbres bordaient le chemin à la manière de sentinelles sans âge, et défilaient à toute allure, se laissant dépasser par l’auto. Des lièvres couraient, étonnés et éblouis, sur les plaines rases des champs à l’abandon. Les rares bicoques environnantes semblaient n’être que des granges réservées au stockage du foin. Il pouvait presque sentir l’odeur moelleuse de la paille dans l’humidité ténébreuse. Se mêlaient à cette senteur celles des herbes folles et de la sève des épineux Cette cambrousse mystérieuse était vivante, vivante d’un millier d’années, de milliards d’expériences. Combien de naissances ces forêts avaient-elles vu ? Combien de carcasses avaient-elles caché en leur sein ? La végétation seule pouvait y répondre.
Il paraissait perdu dans les méandres de ses pensées. Regardait-il la route ? La campagne ? Le désordre de son tableau de bord ... ? Nul n’aurait su le dire. Il demeurait secret, comme à son habitude. Certains auraient pu le comparer aux étendues paysannes de la région. Impassible en apparence, en mouvement constant à l’intérieur. Il était en jachère depuis si longtemps que c’était à se demander si quelque chose pousserait un jour sur sa terre stérile. Plusieurs avaient tenté de percer cette croûte épaisse, beaucoup avaient échoué. Il passa ses doigts au bord de ses lèvres et effleura sa moustache d’un air songeur. Où allait-il ? Que fuyait-il ? Il se tenait impassible derrière le guidon de cuir. Ses mains moites avaient laissé des traces indélébiles. Le sel de sa peau avait attaqué le revêtement, le couvrant de traînés blanches similaires au ressac de la mer qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Peut être y irait-il. Il avait retiré ses lunettes en montant à bord de l’Alpine. Le derme fin du contour de ses yeux était creusé, décoloré, on pouvait comprendre aisément la fatigue et l’éreintement d’une journée passée à sillonner les chemins et sentiers. Ce léger enfoncement rendait ses yeux plus grands encore.
Ses yeux d’un brun profond. Son regard plus noir que le kérosène. Peu de personnes avaient osé s’y plonger. On aurait dit deux comètes en collision constante, deux astres brûlants. La fin du monde sur l’écran de sa rétine. Faire le tour de ses pupilles était similaire à un voyage autour du monde. Un monde incertain, blessé, fait de grottes et de cachettes pour qu’on ne puisse jamais le retrouver. Il se cachait tout entier dans ses yeux, c’est pourquoi il était si difficile de le regarder en face, c’est pourquoi il n’en laissait la possibilité à personne. Peur de se dévoiler, d’en dire trop ou juste assez pour que l’observateur déniche ses failles. Les temps sont durs pour les écorchés vifs au regard trop grand. Il avait l’air d’absorber tout ce qui passait à sa portée, chaque oeillade le nourrissait de tout ce qui l’entourait. Il remerciait probablement le ciel de n’avoir personne à voir. Seule la nuit, la campagne, et les quelques créatures crépusculaires qui osaient côtoyer le bord de route. Il lançait régulièrement des coups d’oeil dans son rétroviseur, pour vérifier l’état de ce coffre qui refusait de se fermer tout à fait, et semblait préoccupé par cet état. Chaque dos d’âne, chaque nid de poule, risquait de l’endommager ou de l’ouvrir soudainement, il devrait alors s’arrêter en pleine courses pour tenter de réparer sa carrosserie avec les quelques rares outils qu’il possédait. Mais il ne pouvait pas s’arrêter, pas tout de suite. Il inspira alors profondément, espérant qu’il tiendrait jusqu’à la prochaine station.
La traversée était devenue monotone. Les ombres ne le surprenaient plus et s’étendaient au rythme du grésillement de l’autoradio qu’il n’arrivait pas à éteindre. Il ne savait probablement pas où il était, et peut être même ne savait-il pas où il allait. Ses paupières commençaient à tomber doucement, mais sûrement, la pesanteur et le sommeil semblaient faire leur effet. Il attrapa d’un geste expert de la main droite la flasque dans la boîte à gants, dévissa le bouchon avec ses dents, et bu une longue rasade. Un filet s’échappa de la commissure de ses lèvres et vint habiller son menton d’une fine pellicule liquoreuse qu’il recueillit avec le dos de sa main. Le whisky l’avait réchauffé, et il se sentait de nouveau éveillé et alerte. Il accéléra pour donner de l’allure à sa conduite et se concentra sur les faisceaux lumineux de ses phares avants. La lumière blême rendait l’atmosphère environnante fantomatique et impalpable. Elle éclairait crûment et méticuleusement chaque détail de l’asphalte.
Soudainement, sorti de nulle part, une forme grotesque s’échappa de l’orée de la forêt et se précipita au milieu du chemin. Surpris par cette apparition, il pila brutalement et fit une embardée sur le côté gauche, apercevant du coin de l’oeil la bête vengeresse qui s’était aventurée sur l’allée. Il perdit totalement le contrôle de son véhicule et s’enfonça dans le sous-bois à toute vitesse. Les branches basses venaient s’écraser sur son pare-brise, les suspensions étaient mises à rude épreuve et l’Alpine s’agitait dans le désordonnément le plus total. Il se cramponna de toutes ses forces à son volant, tentant de rester le plus fixe possible dans le chaos de cet accident. Puis, petit à petit, l’auto ralentit, et finit par se stabiliser, et par s’arrêter complètement, dans une clairière en contrebas. Il resta interdit pendant de longues minutes, le souffle court et le visage en sueur. Son coeur battait encore à la cadence de cette course mortelle. Il attendit que le calme revienne, sortit une cigarette de son étui, l’alluma, et en tira une interminable bouffée, qu’il expira lentement, remplissant de nouveau l’habitacle d’une buée lourde et chargée. Il se décida enfin à ouvrir la porte pour poser un pied dans l’herbe humide de la percée. Son véhicule était recouvert de feuilles et de branchages en tous genres. La carrosserie était parsemée d’une myriades d’estafilades lui donnant l’apparence d’un vaisseau de guerre. Le pare-brise, bien que brouillé, ne présentait aucune fêlure majeure, et les phares quant à eux semblaient encore fonctionner au maximum de leur capacité. Mais la voiture penchait, cruellement, irrémédiablement. Le pneu avant gauche était éventré, le caoutchouc béant ne laissait aucun doute possible : la crevaison était irréversible. Il fit enfin le tour de l’Alpine et découvrit avec horreur l’inévitable. Ce qu’il redoutait tant venait de se produire d’une manière bien plus brutale que ce à quoi il s’attendait. Le hayon du coffre était terriblement amoché et complètement sorti de ses gonds. Il pendait tristement du côté droit et était en pleine agonie. Pour couronner le tout, il se détacha avec arrogance du reste de la voiture et tomba au sol dans un fracas froid et métallique. Mais la terreur souveraine, celle qui le prenait à la gorge, se trouvait ailleurs. Il se retourna, se plia en deux, et vomit l’intégralité de ses entrailles en un flot continu. Ses vomissements résonnaient dans toute la forêt. Il finit à genoux, les deux mains au sol, des larmes de rage bouleversant la détresse de son regard. Il était bien là, inutile de nier ou de fuir, l’évidence s’offrait à lui, là sous ses yeux.

Il était bien réel. Une main sortait du coffre et une jambe se tordait en une contorsion impossible, s’échappant elle aussi du véhicule. Le cadavre s’exposait à ciel ouvert, la bouche déformée en un rictus moqueur. La rigidité cadavérique avait déjà gagné le macchabée qui pesait de tout son poids contre l’Alpine. Son ventre boursouflé et ses joues tombantes lui donnait l’aspect d’un alcoolique de longue date. Ses traits tirés, ses cheveux clairsemés et les rides au coin de ses yeux laissaient supposer son âge : entre cinquante et cinquante-cinq ans tout au plus. Son vieux marcel blanc délavé et imbibé de sang révélait des épaules lâches et fuyantes. Le plasma s’était écoulé de sa tempe, barbouillant son visage, remplissant sa bouche entrouverte, et finissant sa course entre ses jambes frêles et chétives. Le bougre ne devait pas être un modèle de beauté en son temps, et sa carcasse épaisse devait peser une petite centaine de kilogrammes.
La scène était digne d’un roman policier. La voiture était éclairée par la lueur pâle de la lune, les phares aveuglaient la pinière environnante, et tout n’était qu’altérations et chambardements. D’épaisses traces de boues avaient dispersé ça et là des mottes de terre qui s’accrochait à présent aux roues du véhicule. Le sol était meurtri. Et il était encore là, les mains la fange, espérant sans doute que tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve. La charogne quant à elle s’exhibait sous l’astre lunaire, bien heureuse de son ultime revanche. Elle reposait là, déboîtée comme un pantin, reposant sur une flaque rougeâtre répandue sur la toile de jute qui camouflait le parterre.
Il se redressa difficilement sur ses jambes encore tremblantes qui peinaient à le tenir. La nausée le saisit à nouveau, puis se ravisa, il avait déjà assez donné en la matière et la bile lui aurait brûlé le larynx. Il s’attela alors à la difficile, mais essentielle, mission de dissimuler le corps parmi les hautes herbes et les branchages. Il attrapa à pleine main un coin de la toile qui soutenait le corps, et la tira de toutes ses forces, évitant tout contact visuel avec le macchabé. Centimètre par centimètre, le cadavre se rapprocha du bord du véhicule. Il suait, soufflait, et souffrait de cet exercice physique inattendu et intense. Puis, soudainement, le vieux en marcel s’écrasa contre le sol en un craquement poisseux. Des gerbes de sang s’écoulèrent à nouveau de ses tempes en un borborygme insoutenable. Il le tira alors de tout son long loin de la clairière bien trop exposée. Le parcours lui sembla interminable, à chaque pas la masse paraissait se faire plus lourde, plus morte, plus narquoise. Il se sentait nargué, humilié. De rage, il donna un coup de pied dans le ventre du vieux. Sa bottine alla s’écraser contre la chair graisseuse de sa victime et laissa une trace profonde sur son short en tissu vert kaki.
Il finit par trouver un recoin à l’ombre d’un chêne qui saurait camoufler son larcin. Il disposa le corps tout contre le tronc, et se mit à récupérer de çà de là des feuillages et autres matériaux propices à la dissimulation. L’épaisse toile de jute lui servit de support premier, et il disposa par dessus les éléments recueillis au gré de ses pérégrinations de plus en plus éloignées dans la forêt profonde et menaçante. Chaque bruit, chaque mouvement imperceptible lui glaçait le sang. Il semblait tenter en vain de se raisonner : qui diable, à cette heure ci, dans ce coin là, pouvait donc le surprendre ? La peur l’envahissait déjà. Des sueurs froides parcouraient sa nuque, et la chair hérissée de ses bras relevait la pâleur cadavérique de sa peau. Tout son sang avait quitté son visage et lui donnait un aspect lunaire inquiétant et effrayant. Une fois le travail accompli, il s’empressa de retourner jusqu’à son Alpine pour mesurer l’étendue des dégâts. Le constat était sans appel : elle ne pouvait plus fonctionner en l’état, et il lui faudrait faire appel à une remorque, un réparateur, un garagiste, ou quiconque serait en mesure de lui venir en aide. Le chemin que sa course avait tracé laissait place à d’autres véhicules et il serait facile de se rendre jusqu’ici.
Il remonta alors avec peine jusqu’au bord de la route. Pour économiser sa batterie, il éteignit les phares et se dirigea instinctivement sur son allée de fortune. Le ciel nocturne éclairait faiblement ses pas, juste assez suffisamment pour le guider sur le bitume. Après ce qui lui parut une éternité, il accéda enfin à la chaussée. Mais qu’allait-il faire à présent ? Il s’assit à même le sol en tailleur et commença à attendre. Il s’alluma une première cigarette, puis une deuxième. Observa le sentier de part et d’autre. Se gratta les côtes machinalement, profitant de ce moment de sérénité apparente pour réfléchir à la suite des événements. À ce stade, il pouvait observer plusieurs états de fait : son véhicule était fichu, un cadavre était caché non loin de celui ci, il n’avait plus que quelques billets en poche, un paquet de cigarettes, des bouteilles de whisky, du coca cola, une caisse de vinyles et il ne savait vraisemblablement pas où il était. Il pensa alors à l’heure qu’il était, il n’en n’avait pas la moindre idée. Peut être vingt-trois heures, peut être deux heures du matin. L’aurore n’avait jamais été si confuse, imprécise et incertaine. La fraîcheur s’était transformée et lui glaçait les os, rendant l’attente infernale. Il avait rarement autant maudit, autant détesté la campagne. Il avait l’air de supporter difficilement son impuissance face à cette malheureuse situation. Il se mit à faire les cents pas, le visage rongé de tics nerveux. Il entendit alors au loin un roulement sourd, presque imperceptible. Instinctivement, il alla s’éclipser derrière de grandes fourrés. Son coeur martelait sa poitrine. C’est alors qu’il pu voir distinctement une silhouette se détacher dans les ténèbres.




L


J’ai la mâchoire bleuie. L’arête osseuse qui encadre mon visage est tuméfiée, mais je ne sens rien à part l’extase. L’extase les yeux révulsés et la langue pendante, ma face toute entière tournée vers l’objet de mes pulsions. J’attends l'impact prochain, lourd et profond. J’attends ces quelques secondes d’absolution où ma chair ébranlée me ramène à la vie. Cette situation est criante de dernière fois et de jamais plus, suspendue et arrêtée dans le temps, sans aucune chance de renouveau. Déjà mes genoux endoloris tremblent au sol de cette frustration à venir. Je m’enfonce dans le parquet, ses sillons creusent ma peau, je suis chienne et femelle à la fois. Ma croupe tendue, mon dos cambré, la paume de mes mains ouverte, tournée vers le ciel en signe d’offrande.
C’est brutal, je me cogne à toi comme aux murs, le choc de nos corps fait naufrage, il n’y a pas un seul instant de répit. Tu me presses, me malaxes, tu me serres comme une poupée, comme un enfant trop gâté. J’ai le souffle court et tu ne me ménages pas. Nous luttons ainsi longuement, le sexe se transforme peu à peu en affrontement. J'envisage un moment d'écraser mon crâne contre le tien, mais tu me retournes et m'allonge pour m'étouffer sous le poids de ton corps. Les caresses sont absentes, la bestialité nous unit.
C'est alors que ton souffle perfide trouve son chemin jusqu'à mon oreille. Il forme des mots qui me mouillent à l'intérieur, je jouis de ton son. Je peux remonter tout le chemin de ta voix, en partant de ta verge jusqu'à tes lèvres, passant par ton ventre et ta gorge ouverte. Ton corps tremble de ta résonance et fait vibrer mon dos. Tu me bouleverses et tu ris de moi, de ma naïveté et de ma jeunesse. Tu remplis ma carcasse vide d'obscénités, sous tes mains je ne suis que créature. Je bois tes mots à la source, ma bouche aspire la tienne, je confonds ta bave et ma salive, une rivière sous la langue. Tu me débordes, j'en ai les larmes aux yeux de trop plein.
Je te lèche de partout, je te goûte, je m'enivre de tes effluves, de ton encens, de tes cigarettes, et de ta liqueur. L'eau me monte aux dents, comme une envie cannibale. Mes mains te visitent frénétiquement, je mourrais de ne plus te toucher en cet instant. J'explore sans cesse pour déceler les secrets de ta chair. J'aimerais te fendre en deux pour te voir du dedans. Mais c'est moi que tu écartes de tes doigts. Ma fente te manges et tu t'enfonces inexorablement. Tu m'écartèles et je crie comme une martyre. Tu t'habilles de moi, je suis ton manteau de fourrure et de crocs. Je m'étrangle dans mes gémissements, j'asphyxie, je deviens folle sous tes assauts.
Il y avait des livres ouverts sur le divan. Un tapis d'images vulgaires et divines. Tous les ouvrages sont tombés et forment à présent un vacarme visuel. Je ne reconnais plus les phrases ni les couleurs. Les étagères se vident. Je ne rends plus grâce aux mêmes Dieux païens, tout se brouille. Mon attention entière est tournée vers toi. Je ne suis plus que toi en ce moment béni. Nous sommes deux fauves étourdis. J'ai l'envie soudaine d'abattre mes poings contre tes hanches, de punir la faiblesse de ma chair en éprouvant la tienne. Tout cela n'existe plus et n'existera plus que dans une vérité pervertie par la mémoire. J'éructe de rage, de ne pouvoir étirer à l'infini ces ébats, de ne pouvoir mourir par eux et pour eux. Souffrance divine.
On se venge alors comme on peut. On se griffe, on se mord, on se pénètre. Tu te délectes de ma soumission et je me complais dans ton pouvoir absolu. Tu craches dans ma bouche, dans mon cul, dans tous mes orifices. Tu ouvres grand mes fenêtres pour pouvoir t'y jeter à chaque instant. Tu te suicides en moi. Les portes du paradis nous précipitent vers l'abîme, se refusent à nous. Tu fulmines face à ces cieux qui te rejettent. Tu t'ériges en sainte trinité et tu habites de force mon autel. Tu te fais roi en mon royaume. Et mes yeux fous te cherchent et s'agitent. Tu t'imprimes à jamais sur ma rétine et tu laboures mes reins pour marquer éternellement l'histoire de mes muqueuses.
Ma tête se renverse et ton mon sang vient s'y loger. Je bouillonne. Mes veines gonflées m'aveuglent et mes lèvres sont prêtes à exploser, à se déchirer sous la pression. Tu m'aides à me tuer un peu en serrant tes mains autour de mon cou. Ma respiration se bloque et je pars lentement. Je coule délicieusement sur les draps et je souris du bout des lèvres de cette mort imminente. Tu me libères soudain et je reviens à la vie. Vivante mais accidentée. La réalité me semble encore plus palpable. Je te supplie de me baiser encore et encore et encore. Tu t'acharnes et t'affole, te demandant comment remplir ce vide immense. Tu me sens dans l'urgence. Tu sais qu'il n'y a pas, qu'il n'y aura jamais d'issue. Tu te brûles à la lave de mon bas-ventre. Tu te répands sur moi à grand renfort de râles. Je jouis rouge. Je compare la taille de ta main à la mienne. Nous ne serons jamais que des inconnus l'un pour l'autre. On aspire la fumée d'une première-dernière cigarette, on la souffle pour expier nos péchés. On se rhabille, c'est fini, ça n'a jamais commencé.
Mon crâne endolori et les bleus de mon corps te ramèneront pendant quelque temps à ma mémoire. Puis tu disparaîtras et je disparaitrais, comme deux ombres dans la nuit.


Laureline


Laureline, petit ange du sud en quatre actes. C’était la première fois, au photomaton. L’image un peu cornée et ce sourire qui me regarde et semble me dire vient. Elle est belle, je me souviens encore de la sensation du papier sous mes doigts. Il faisait chaud, c’était en juillet, et j’avais retiré mes doigts pour qu’ils ne laissent aucune trace. Elle me sourit, je lui souris aussi, comme en miroir, la promesse d’une âme sœur préfabriquée juste pour moi. Je l’aime, je l’aimais, et je l’aimerai pour toujours, toute ma vie sans cesse. Ça c’était en concert, dans le sous-sol d’une vieille baraque réhabilité. La crasse recouvrait les murs et le sol. Elle avait failli glisser plusieurs fois et je me rappelle mes sursauts, mes bras tendus par reflexe pour tenter de la rattraper de loin. Mais elle est débrouillarde, affirmée, et son corps félin réagit avec une agilité farouche. Petite anguille qui se faufile dans la foule, qui se dérobe à mon regard. Je la cherchais en panique. Ce n’est qu’en sortant, un peu ivre, que je lui ai demandé une photo. Mon appareil pro a toujours séduit et convaincu pour qu’elle se laisse prendre.

Laureline, Laureline, Laureline. Petite ingénue, elle ne se rend pas compte de sa beauté. Elle est là, elle parade dans les pentes de la Croix-Rousse. Avec le temps je me suis habitué à son manteau à frange, à ses bottes qui claquent, à son rire reconnaissable entre tous. Elle infuse en moi et distille son doux poison. Elle est là, arrogante et heureuse, elle aime que je la prenne en photo. Elle aime parader, et je l’aime encore plus, toujours plus, toujours insaisissable. Je l’aime, je l’aime tant, et elle me le rend bien. Elle m’aime elle aussi.

Ici, soirée mémorable. Elle est blindée, posée là sur le canapé de velours. Elle cache ses yeux explosés sous ses grandes lunettes de star. On rit beaucoup, on boit beaucoup. Je l’appelais ma petite sainte, ma petite Marie, raccord avec son coussin fétiche. Je me rappelle parfaitement sa peau sous mes doigts qui se mêle à la douceur du sofa. Ses longs cheveux bruns dans ma bouche, dans mes narines. L’odeur de son cou. Et tout l’univers qui s’effaçait autour de nous. Plus de musique, plus d’amis, plus de fête, juste elle et moi. Mademoiselle a été très occupée ces derniers temps. Nous nous sommes peu vus sur une longue période. Elle préparait son exposition. Ici, c’était au vernissage, moment clef de ma libération, je savais qu’après ça tout redeviendrait comme avant. Elle pose fière, elle aussi fait de la photo, je suis sûr que c’est grâce à moi, grâce à toutes les photos que j’ai prises d’elle, grâce à mon objectif qui la fixe depuis bientôt un an. En prenant cette photo, je m’étais soudainement souvenu de notre date anniversaire dans trois semaines. J’allais lui préparer une belle surprise.

Mon petit ange fait la moue. Elle ne veut pas de ma surprise. Je l’avais quand même prise en photo pour capturer son air boudeur qui me fait fondre. Elle fait semblant de se cacher, de m’ignorer. Téléphone en main, manteau large et bob enfoncé sur la tête, elle joue à me fuir pour me faire payer ma présence. Je savais qu’il me faudrait faire de grands efforts pour me faire pardonner. Mais quelques jours après j’apprenais que tout était fini, un texto pour clore notre épopée. Laureline me rejette et m’abandonne.

Dernière photo de Laureline postée sur Instagram par son nouveau petit ami. Elle était belle ce soir-là, comme au premier jour. Son t-shirt léopard transparent révélait ses petits seins que j’avais tant convoités. Sa jupe découvrait ses cuisses que mes mains avaient parcourues lors de sa nuit d’ivresse. Elle est toute à moi maintenant. Rien qu’à moi. À personne d’autre. Elle n’est qu’à moi, à moi comme je l’ai toujours voulu, je sais qu’elle ne veut que ça depuis le début. Je la détacherai quand elle se sera habituée à mes coups de trique.


Liturgiae


1. INT/DÉBUT DE JOURNÉE - SALON
Sur un tapis blanc cassé, posé à même un parquet suranné, elle repose à genoux, nue, le corps exprimant l'attente relâchée. Une tâche de lumière vient frappé son épaule et son omoplate. Sa tête est emprisonnée dans une cagoule de cuir bordeaux. Son corps n'est soulevé que par sa respiration.

2. ÉCRAN TITRE
LAUDES

3. INT/DÉBUT DE JOURNÉE - SALON
Il se tient debout face à elle, on ne voit pas sa tête, seulement son corps de profil, habillé de noir : jean, chemise, chaussures. Il la toise. Leurs respirations sont les seuls mouvements perceptibles. Sa main visible s'approche de la cagoule, la touche, la flatte. La paume passe sur toute la surface du crâne lisse. Elle lève la tête comme pour le regarder, sans pouvoir le voir. Il dézippe la fermeture éclair entravant sa bouche, et y glisse quatre de ses doigts qu'elle suce à pleine bouche. Les premiers gémissements se font entendre.

4. INT/DÉBUT DE JOURNÉE - SALON
Ses doigts défont la boucle de sa ceinture méthodiquement, puis il ouvre les boutons de son jean un à un dans un geste toujours expert. Il sort son sexe gonflé de l'étau de son caleçon noir et glisse sa main le long de sa verge en l'empoignant fermement. Ses mains à elle, parfaitement manucurées, cherchent à l'aveugle ses hanches. Il rapproche sa tête en la prenant par la nuque, et vient glisser son sexe dans sa cagoule. Elle lui prodigue une fellation longue, sonore, humide. La salive perle sur le tapis et sur ses seins. Le rose de sa langue et de sa bouche contraste avec le reste. On l'entend, lui, gémir et soupirer. On remonte le long de son corps pour découvrir son visage. Les yeux fermés, concentrés, et la tête levée vers le plafond.

5. INT/DÉBUT DE JOURNÉE - SALON
On redescend cette fois si vers son dos à elle, et ses fesses cambrées. On voit aux mouvements de son corps qu'elle suce avec une certaine frénésie. Ses deux mains viennent se placer sur ses tempes et il commence à contrôler ses vas et vient.

6. INT/DÉBUT DE JOURNÉE - SALON
Retour sur le sexe et la bouche. Le rythme est de plus en plus soutenu. Puis, il la bloque soudainement et enfonce tout son chibre dans sa gorge. Elle manque de s'étouffer, et des flots de bave s'étirent en filaments lorsqu'il se retire, reliant son gland à sa bouche. Cet étouffement est répété trois fois. On l'entend sangloter, elle, on l'entend pousser de longs râles, lui. Il finit par éjaculer abondamment sur la cagoule. Le blanc laiteux de son sperme se démarquant du bordeaux du cuir. Elle lève à nouveau la tête comme pour le voir.

7. INT/MIDI - CUISINE
Elle est toujours nue. Assise sur une table en marbre mal entretenu. Ses fesses sont posées presque au bord, et ses jambes sont écartées. L'un de ses pieds est posé sur le rebord de la fenêtre tandis que l'autre repose sur le coussin moelleux d'une chaise. Son sexe est légèrement ouvert, exposé de manière ostentatoire. Elle ne porte plus sa cagoule, mais on ne voit pas son visage, seulement le bas, et sa bouche entrouverte. Ses mains sont posées un peu en recul de son corps, offrant ainsi son torse et sa poitrine gonflée.

8. ÉCRAN TITRE
SEXTE


Nocturama


Le ciel de cendres vomi son crachin à la figure des habitants du dessus. Suie, poussière et particules en suspension fouettent leur visage. L’astre noir englouti tout. Le nez obstrué laisse place à la bouche grande ouverte et haletante, porte royale vers l’oxygène. Du larynx jusqu’aux poumons, tout est rongé. On devine un crépuscule tombé sur le monde depuis des millénaires, modifiant les corps. Les globes oculaires vides, recouverts par de la peau pour ne plus jamais voir que des ombres. Les langues crasseuses lèchent le sol à la recherche de protéine.
On ne boit plus, on éponge. On ne mange plus, on absorbe. On ne baise plus, on féconde. Les vagins défoncés sont grands ouverts et dégagent une odeur âcre pour attirer les mâles aux verges turgescentes et humides comme des plantes carnivores. La baise est succincte. Un empalement vif et douloureux, et des flots de semence, en espérant que l’un des trois utérus s’ouvrira pour accueillir la descendance. À la fin de la gestation, les têtards aveugles tombent mollement au sol et se trainent dans un coin en attendant de grandir et de forniquer à leur tour.
Et quand on meurt on crève là, sur place. Le corps s’affaisse et puis c’est tout.


I.


J'ai un trou béant dans le ventre. Un jumeau mort né arraché à la naissance. Je suis un caveau vide que même les spectres n'osent plus hanter.
Les bras ballants j'attends qu'on charge mes épaules du poids d'un autre monde. J'entends au loin les dents des chiens qui grincent dans le noir, les graviers qui crissent sous les bottes de cuir. La mort ressemble à un inquisiteur en uniforme.
Je pleure à la lune comme une chatte esseulée, le flanc déchiré et sanguinolent. Des touffes de poils entre les dents. Dans un râle j'appelle ce frère incestueux qu'on m'a arraché. Je le cherche dans tous les miroirs du château où ne se reflète que l'ombre de mon ombre.
Un cerceau de barbelés ceint ma taille et tourne en une ronde infinie, marquant à chaque passage ma chair meurtrie. Les pointes d'acier sont des dents de lait qui tombent et roulent dans ma gorge. Mon estomac rempli de pierres.
J'ai souillé de mon sang tous les trottoirs de la ville. Il perle encore ici et là comme des larmes d'enfant. Je titube dans les rues, les hanches ouvertes, les cuisses humides, trébuchant par à coups sur mes propres souillures. Les béquilles brisées par des passants cruels.
Dépose sur mon front les éclats de verre. Vide ma cervelle de ta couronne d'épines et laisse moi, en un soupir, devenir choses parmi les choses. Pour ne plus voir mes plaies qui jamais ne se referment.


II.


Fais craquer ton poing contre mon con
Et explose unes à unes toutes mes limites
Tes phalanges à l'intérieur.

Dilate mes chairs et ouvre moi
Comme un fœtus acephale
Avec au dedans
Rien que le corps
Rien que le corps
Encore le corps

Perce la peau
Souille toi les doigts de sang et de foutre
Dénude le blanc écaillé de mes os
Et fouille encore.

Comme le canon d'un fusil
Posé sur la tempe.


III.


J'ai vu au fond de l'étang
Brillants comme deux feux follets
Tes yeux verts lunaires

Étaient ce les astres
Étaient ce toi

Ils m'ont suivi
Jusque entre les murs
Et ont brûlé
Le ventre mou de mes serpents
Les flammes ont léché
Ma chair mon sang

Je suis retournée près de l'étang
Les yeux n'étaient plus là
J'ai ouvert la paume de ma main
Pour les retrouver tout près de moi

Étaient ce les astres
Étaient ce toi



IV.


Les mains en coupe j'ai bu,
À la source sombre de la caverne.
J'ai avalé le silence cristallin,
Des lacs du centre du monde.

J'ai vu mon reflet au fond de l'abîme,
Sans aucune brise pour venir le troubler.
Les genoux écorchés, j'ai redressé mon échine,
Déroulant mon dos comme un spectre décharné.

C'est alors que,
Mes yeux aveugles ont aperçu
Au milieu de la grotte,
Une comète flottante.
Un météore immobile.

J'y ai posé mes lèvres et le bout de mes doigts.
La pierre s'est faite chair et matière organique.
Devinant sous la roche le palpitant.

L'astre a disparu soudainement,
Emportant avec lui tout le reste.

Aujourd'hui,
Il se cache dans mon ventre,
Le refuge le plus doux.
Et je porte en moi
Le plus brûlant des soleils.

Ma rétine s'est éteinte
Dès ses premiers rayons
Et je garde imprimé sur l'écran de mes paupières
L'empreinte persistante d'un amour absolu.

Marquée au fer rouge je porte
L'insigne de l'adoration,
Comme un manteau brodé
De Messaline et Nyx.



V.


Pouvoir s'étouffer
Avec le sang de quelqu'un
Qui n'est pas moi.

Sentir à gros bouillon
Les glaires rouges et épaisses
Obstruer ma gorge.

Des caillots sur la langue
Et la liqueur dans le ventre.

Puis vomir le pourpre
Jusqu'à pleurer.



VI.


Mon ventre est un caveau
Que tu remplis, de fleurs artificielles,
D'astres lumineux, de soleils

Tu y dresse l'autel de tes fantaisies,
À genoux tu me laisse place
Et le sol de marbre se transforme en parterre de pensées

Tu habilles les murs de tentures pourpres
Et peu à peu s'élève en tourbillon
Les parfums capiteux des encens que tu portes

Mon ventre est un caveau
Où vit le plus vivant des morts
Mon ventre est un caveau que tu as transformé
En le plus doux des étés



Pulsions Scopiques


Elle était entrée, sans hasard aucun, dans ce cinéma d’angle non loin de la gare. La façade était la première à l’avoir charmé : des néons aux formes froides, des lumières chaudes, des airs d’années 50. Elle n’était pas discrète pour un sou, cette façade de cinéma X qui tranchait avec provocation le calme et la noblesse des environs.
Passé le pas de la porte, elle découvrit un univers tout autre. Glacial. Le hall donnait sur quelques cabines individuelles, un cabinet de toilettes douteux, une pièce pour couple, et trois salles de projection. Le tout sentait une odeur de javel et de linoléum chloré, ce qui lui donna un haut le cœur faisant remonter son estomac dans le fond de sa gorge qui serait remplie à nouveau bien assez tôt ...
Pour échapper à l’angoisse de cet espace impersonnel, elle se glissa discrètement là où on passait du porno hétéro. Très intimidée, elle alla se cacher vers les sièges du fond qui formaient quelques petites alcôves plus intimistes. Bien évidemment, malgré toutes ses précautions, les quelques spectateurs se tournèrent avidement à ce nouveau spectacle qui s’offrait sous leurs yeux. Une jeune femme frêle, à la poitrine trop opulente pour sa condition physique, aux lèvres entrouvertes, et aux longs cheveux bruns venant se perdre dans son décolleté profond.
Inconsciente de l’excitation qu’elle générait, elle se laissa happer par l’écran en glissant timidement une main sous sa jupe pour effleurer du bout des doigts sa toison. La scène était banale, une petite blonde, russe probablement, et un jeune homme se faisaient l’amour tendrement dans une chambre immaculée. Elle avait horreur de ces mises en scène soignées, de ce côté arty surfait, et elle commença alors à divaguer fasse aux images. Et si un autre type rentrait brusquement ? Et s’il abattait le jeune homme trop propret à bout portant ? Et si le sang s’écoulait pour venir souiller le corps trop pâle de la russe ? De questionnements en questionnements, et d’évocations en images, elle recréa seule une œuvre à la hauteur de ses attentes. Elle était curieuse des chairs qu’on ne voit pas, celles de l’intérieur. Elle était curieuse de l’odeur des viscères, de la texture des fluides et de la déshumanisation par la violence. Elle recherchait du sexe sale et poisseux, de l’horreur à l’état pur, du répugnant et du sordide.
Perdue dans ses élucubrations, elle n’avait pas vu l’homme s’approcher d’elle. Bien plus âgé et bien plus habitué des lieux, il avait déjà pris son sexe en main et l’agitait doucement pour ne pas finir trop vite. Il l’observait depuis un long moment et s’excitait en regardant la courbe de sa bouche de petite pute, la pointe de ses tétons qui laissait deviner l’absence de soutien- gorge, le haut de ses cuisses fermes qui dissimulaient encore l’ouverture probablement moite de sa fente. Il s’excitait de se savoir pur voyeur face à celle qui paraissait si innocente aux premiers abords. Il était bien loin d’imaginer que ses fantasmes dépassaient l’entendement ...
Lassé de sa propre main, il s’approcha lentement d’elle et lui saisit le poignet. Ce premier contact eu l’effet d’un électrochoc. Elle sorti subitement de sa torpeur et dévisagea le cinquantenaire affamé. Ils ne se dirent rien, se regardèrent, et comprirent que l’accord était commun. L’homme fit alors glisser sa verge d’une extrême dureté entre les doigts fins de l’ingénue. À sa grande surprise, il sentit rapidement les gestes d’une experte en la matière. Elle alternait entre rythme languissant et frénétique, le tout en donnant un mouvement de poignet qui le faisait gonfler un peu plus. Son gland énorme surplombait un sexe long et large. Déjà la bouche de la jeune femme s’entrouvrait, appelant cette bite énorme, l’invitant à se loger dans sa gorge. Remarquant cette exaltation, il pressa violemment sa tête contre son ventre, et elle engloutit sa bite d’un seul coup. Il aimait voir les larmes couler lentement le long de ses joues. Il savait qu’il l’étouffait et il adorait ça. Et elle également, adorait ça.
Pendant que sa queue fouillait l’intérieur de sa bouche, il se mit, dans un élan impulsif, à la gifler, à couvrir ses joues de petites claques furtives. Son mascara répandu sur son visage lui donnait des airs de chienne en chaleur. Elle retira subitement son gourdin de sa bouche, cracha dessus, et étala sa propre salive sur son menton, son nez, et tous les centimètres de peau atteignable. Elle voulait être sa salope. Elle avait envie de cet homme plus que jamais. Déjà autour d’eux c’étaient réunis une dizaine de curieux, des couples et des hommes seuls principalement, tous beaucoup plus vieux qu’elle. Ils observaient la scène avec une attention religieuse. Espérant découvrir avec plus de précision le corps de cette petite suceuse qui venait animer leur soirée ...
Attentif à ces regards, et ne les connaissant que trop bien, l’homme exauça le vœu de ces pervers en manque. Il tira sur le décolleté de sa soumise d’un soir et dévoila ses deux seins. La pression des bretelles de son débardeur sur ses épaules lui fit pousser un adorable gémissement de douleur et déjà la zone rougissait. Sa poitrine était terriblement gonflée, ses aréoles roses accueillaient en leur centre des petits tétons d’une extrême sensibilité. Il se mit à claquer ses deux globes tout en remettant sa pine dans sa bouche. À chaque gifle elle mouillait un peu plus, à chaque coup elle s’abandonnait de plus en plus à la soumission. Il pinçait aussi ses pointes pour lui arracher quelques cris aigus, ses gémissements le poussait au bord de l’orgasme. Mais il avait bien trop envie de jouer avec elle pour jouir immédiatement. Il se délectait des vas et viens de son chibre dans sa bouche chaude. Elle le suçait à merveille, en le prenant régulièrement dans sa gorge. Elle aimait ça. Elle aimait ça à un tel point que déjà de la cyprine coulait le long de ses cuisses. Sa petite culotte souillée n’était plus qu’une barrière frêle entre sa chatte et cette bite énorme qu’elle aspirait. Elle avait des envies qu’elle n’osait formuler, elle avait envie qu’il l’insulte, elle avait envie qu’il la défonce, elle avait envie qu’il l’humilie.
Il avait, bien évidemment, deviné ces attentes. Cette petite chienne était bien trop experte pour s’arrêter à une simple pipe. Il avait envie lui de son côté de la prendre par le cul, de la fesser, de la dresser surtout. Il voulait faire d’elle sa chose. Mais, son public commençait à le lasser. Il la saisit alors par les cheveux, la cambrant en arrière. Une incommensurable envie de lécher et sucer ses seins s’empara de lui, mais il lutta, il lui réservait ce genre de traitement pour plus tard. Il la sortit alors de la salle, une main agrippant sa tignasse, l’autre en serrant sa nuque, pour l’emmener en salle de projection ...
Le gérant du lieu ne fut pas surpris lorsqu’il les aperçus sortir ainsi hors de la salle. L’homme se dirigea vers un petit escalier de service dans lequel il la jeta à quatre pattes.
« Maintenant, monte à quatre pattes. Je veux voir ton cul et ton con dégoulinant sous mes yeux. Je veux voir tes seins pendre comme les deux grosses mamelles de la chienne que tu es. Et tu as tout intérêt à te presser, sinon je te défonces tes petites miches à coups de ceinture. »
Elle s’exécuta et pris grand soin de faire rouler son cul à chaque marche montée. Elle s’arrêta à mi-chemin et attendit. Elle savait qu’il n’avait pas de ceinture et elle était curieuse de voir quel châtiment allait lui être réservé. D’un air de défi, elle se retourna à demi, juste assez pour planter son regard dans le sien. Alors, il se rapprocha à toute vitesse et, sans dire un mot, écarta ses fesses rondes en tirant assez fort dessus pour lui faire mal. Il cracha sur son anus serré et enfonça son pouce à l’intérieur.

« Hé ben ma salope. C’est pas ta première fois par ce trou là à ce que je vois. Tu aimes te prendre des gourdins dans le cul ? Tu vas être servie, j’adore ça. Continue de monter chienne. »

Elle se remit en marche, bien trop curieuse de découvrir la cabine de projection. Qu’elle ne fut pas sa surprise lorsque celle-ci s’ouvrit sur des appareils pour 16 et 35mm ! Elle était persuadée que le complexe n’était équipé qu’en numérique. Il lui prit alors l’envie de voir du porno sur pellicule, de sentir la matière, de s’enrouler dans les bobines, de se faire étrangler avec ...
« Je sais à quoi tu penses chienne. Oublie tout de suite. Tu n’y touchera pas, tu ne les abimera pas avec tes sales mains souillées par le sol et ma queue. Mais ... je vais te montrer deux trois choses de mon cru, si et seulement si tu obéis à mes ordres. »
À genoux face à lui elle acquiesça avec détermination, animée par l’envie de découvrir ses ordres et de voir la projection qu’il lui réservait.
« Bien, bien salope, tu es sage c’est bien. Tu vois la table là-bas ? Te tourne pas pour regarder chienne je ne te l’ai pas ordonné. Hé bien cette table tu vas grimper dessus, y asseoir ton joli petit derrière, et tu vas écarter ta chatte devant moi. Et attention, tu te branles pas, tu ne fais rien, tu écartes c’est tout. »
Elle se redressa et alla à l’endroit indiqué. Le meuble était froid et désagréable. Une fois assise, elle posa ses pieds de part et d’autre de la table et révéla une vulve rouge, gonflée et humide, surmonter d’une toison sombre et bouclée. Elle plaça ses doigts sur ses petites lèvres et tira les chairs qui s’écartèrent en un petit bruit mouillé. Elle était offerte, béante sous le regard inquisiteur de son bourreau. Elle était presque nue tandis qu’il était encore habillé. Elle mouillait de cette domination, et était à la fois frustrée et ravie par cette position dont elle avait honte et qui l’humiliait au plus haut point. Pendant ce temps, il avait déboutonné son jean et ressorti son membre turgescent. Il se branlait en la regardant avec avidité, se demandant comment à son âge cette petite traînée pouvait être aussi dévergondée.
La scène dura ainsi pendant quelques minutes qui parurent durer une éternité. Le souffle court, il se rapprocha d’elle. Elle était tétanisée à l’idée qu’il la touche entre ses cuisses. Tétanisée à l’idée qu’il s’y prenne mal. Elle rêvait de doigts experts. Heureusement pour elle, ce petit jeu était son préféré. Il commença à branler doucement son clitoris en prenant bien garde à le laisser sous son capuchon, et il observait avec attention le visage de sa victime. Elle léchait et mordait ses lèvres pulpeuses en fermant les yeux. Son regard à lui l’intimidait bien trop pour qu’elle se permette de s’y perdre. Elle commença à se caresser les seins, à les palper et les presser dans la paume de ses mains. Elle voulait jouir de chaque zone érogène de son propre corps. Lui, de son côté, faisait aller et venir ses doigts le long de sa petite chatte immergée. Il voulait qu’elle baigne dans son jus, que ses fesses en soient recouvertes. Puis, il se mit à genoux, approchant son visage vers l’objet de ses caresses.
« Maintenant, tu ouvres les yeux. Je ne veux pas que ton regard quitte le mien. Tu vas me regarder te bouffer la chatte. Et tu vas me regarder du début à la fin. Je te jure que si ton regard quitte le mien je te mords jusqu’à ce que tu saignes et je te déchires ton con. C’est compris ? »
Elle ouvrit alors les yeux et plongea en lui. Elle ne le quittait plus. Elle c’était ancrée profondément pour ne pas perdre pieds. Il avait d’ores et déjà commencé le travail. Sa langue fouillait les moindres recoins de son anatomie. Tantôt sur sa fente et tantôt glissant le bout à l’intérieur, il faisait en sorte qu’elle hurle de plaisir, il voulait la voir s’abandonner, il voulait qu’elle s’offre entièrement à lui. Sans barrière, sans pudeur. Mais la salope résistait. Elle savait ce qu’il voulait, elle ne connaissait que trop bien ces manigances typiques des dominants invétérés. Mais elle se refusait à lui donner. Elle voulait le pousser à bout pour que sa soumission n’en devienne que plus grande. Elle le voulait extrême, fou, et ravagé. Alors elle ne gémissait que par à-coups, feignant un certain désintérêt pour la chose alors qu’au fond d’elle elle savait pertinemment qu’en s’obstinant il parviendrait à ses fins.
Il se redressa alors, tout en continuant de la fixer, et plongea ses doigts dans son trou déjà élargit par l’excitation. Et il la branla comme elle ne l’avait jamais était. Ses vas et viens ne cessaient pas, il la baisait littéralement avec ses doigts tout en l’insultant copieusement.
« Je sais que tu aimes ça chienne, qu’on t’insulte comme la petite pute que tu es. Espèce de sale traînée, t’aimes ça hein ? Attends d’avoir ma queue au fond de ta p’tite chatte de nympho et là tu vas hurler, là tu vas me supplier d’arrête. Hé ! Hé qu’est-ce que tu fous ?! Je te parle bordel, regarde-moi ! »
Les yeux révulsés, elle avait finalement cédé. Ne pouvant plus se retenir, elle expulsa en un cri de plaisir une cyprine fluide et transparente qui sortait en jets saccadés de son corps. Tout son corps tremblait, et déjà elle n’en pouvait plus alors que le jeu ne faisait que commencer. Elle sentait son sexe s’ouvrir et se fermer sur les doigts de celui qui dorénavant serait son maître.
« Oh putain ! Hé bah ça ma coquine je ne m’en serais pas douté. Alors comme ça on est fontaine ? Mais t’as pas honte d’en foutre de partout comme ça ? Bien sûr que non t’as pas honte espèce de cochonne ... Bon. T’as bien mérité une petite récompense. Tu vas voir, ce n’est pas de la peloche, juste un petit montage de mon cru. Et t’inquiètes pas que je vais te ramoner salement pendant que tu regarderas ces horreurs. »
À moitié sonnée, sa bouche se mis en quête de la sienne pour trouver un peu de tendresse après la jouissance. Elle ne désirait à ce moment-là rien de plus qu’aspirer cette lèvre inférieure charnue qui donnait à l’homme un air bourru et boudeur. Mais il s’y refusa. « Hé oh tu fous quoi là ? T’as cru que j’étais ton mec ? La tendresse ça sera pour la fin. Et encore, faudra bien me faire jouir des litres pour ça. Maintenant tu te lèves, tu te mets face au retour écran juste là, et tu vas voir, on va bien s’amuser tous les deux. » Elle posa ses mains de chaque côté de la machine. Trônait en son centre l’écran. Objet de désir immédiat. Ses doigts caressaient la matière rigide et granuleuse de cette boîte à fantasmes. Que lui réservait-il ? Était-elle la première ? Ou cette mise en scène avait été répétée de nombreuses fois avant sa venue ?
« C’est ton jour de chance ma jolie. Des cinéphiles on n’en voit pas tous les jours par ici. Et me dis pas non, je sais de quoi je parle. La manière dont tu t’appropries l’espace, le siège, la toile ... T’étais chez toi-même en venant une première fois, tu ne connais que trop bien tout ça. J’espère que je ne me trompe pas sur ton compte petite connasse. Putain c’que j’aimerai fouiller ton cerveau, plonger mes doigts dans ta vilaine petite cervelle et extraire toute la matière fétichiste accumulée pendant tes années de visionnage ... Dis-moi chienne, t’aimes quoi ? Dis-le-moi tout de suite et me mens pas. »
Elle s’aperçue à cet instant précis qu’elle n’avait pas dit un mot depuis son arrivée. Son menton tremblait et elle n’était même pas sûre de pouvoir prononcer quoique ce soit. Comme si cette heure l’avait réduite à l’état d’esclave absolu. Néanmoins, elle parla pour satisfaire la curiosité de cet étrange homme.
« Euh ... De tout ... Enfin non, non pas de tout ... Enfin je sais pas, j’en sais rien ... Je regarde des trucs dégueulasses, je regarde du porno, je regarde du gore, je regarde du psyché ... J’en sais rien, je crois que vous me faites peur. C’est ça, vous m’intimidez trop. J’en sais rien ... Je regarde des trucs sales des seventies, des histoires sordides ... Mais de vous sentir là derrière moi comme ça je sais pas ... Je perds tous mes moyens. Me demandez pas de parler ... »
« Attends, attends, j’ai bien entendu là ?! C’est un ordre ou bien ? Mais t’es complètement malade ma pauvre ! »
Sur ces mots, il asséna une claque violente sur son cul tendu. Elle cria de surprise et rougit de honte. La trace de ses cinq doigts s’imprimait sur elle comme un marquage au fer rouge.
« Bon allez, je vais t’aider puisqu’apparemment t’es trop conne pour aligner un mot après l’autre. Sayadian, Damiano, Kikoïne, ça te parle ? Mais bien sûr que ça te parles ... Crache le morceau salope ! Mais tu vas parler putain ! »
Elle commença à sangloter sous la pression et sous l’émotion. Jamais ses deux passions n’avaient été aussi proches. Jamais elle n’avait mêlé le sexe au cinéma. Sa gorge se gonflait de sanglots incontrôlables. Un flot d’émotions la submergea.
« Merde ... Hé, pleure pas gamine, pleure pas. Regarde plutôt ce que le vieux te réserve. T’es bien la première à voir ça. Quand j’t’ai vu ça m’a donné de drôles d’idées ... Drôles comme toi gamine. Allez, regarde attentivement et laisse-moi faire. »
L’écran s’alluma. Et la cabine fut plonger dans le silence le plus total. Les images défilaient les unes après les autres. D’abord softs, puis de plus en plus violentes et crues ... Du found footage d’origine inconnue, du hard-crad, des images de l’holocauste, puis un défilé surréaliste de scènes plus trashs les unes que les autres. Des visages noyés de foutre, des avortements au cintre, des trous béants souillés de salive et de sang, des muqueuses perforées, des crânes explosés, des scènes de torture extrêmes, des décapitations au réalisme douteux. La jeune femme avait l’impression d’être à l’extérieur d’un train qui défilerait sous ses yeux. Chaque fenêtre étant une nouvelle image, une nouvelle scène. Cet enchaînement inattendu la berçait plus qu’il ne la troublait.
Il était encore derrière elle et la regardait avec fascination. Comme une petite créature si chétive pouvait s’intéresser à de telles choses ? Une certaine faiblesse s’emparait de lui, impressionné par cette brune nue, à portée de mains, complètement absorbée par le montage qu’il avait préparé quelques mois plus tôt. Cette sensation passagère n’allait pas dans son sens, et pour se ressaisir il se mit à la frapper copieusement. Les cuisses, les fesses, les seins, tout y passait. Il profitait de chaque coup pour la pincer, la palper. Elle gémissait à présent sans retenue, elle n’était plus là ou plutôt elle était si ancrée dans l’instant présent qu’elle laissait les choses se faire sans se poser de question. Son esprit divaguait entre l’écran et cet homme juste derrière. Cet homme qui avait compris en un instant la complexité de sa sexualité, de ses envies, et de sa perversion. Elle le savait vicieux, obsédé, pervers et affamé, et c’est ce qui lui plaisait tant. Elle sentait les coups pleuvoir sur sa peau, et elle n’avait qu’un désir : se retourner pour le voir, pour avoir enfin le courage de se noyer en lui. Elle réussit à se détacher du montage, se retourna d’une traite, et le poussa de ses deux mains pour le plaquer contre le mur juste derrière eux.

Ce revirement de situation surprenant lui donna un regain d’énergie et de violence. Il la saisit par la mâchoire et écrasa sa bouche contre la sienne. Il la dévorait littéralement. Les langues se mêlaient tout comme leur salive qui coulait le long de leur visage. Ils s’embrassaient à présent avec fougue et passion, ayant compris l’un et l’autre à quel point ils étaient similaires et complémentaires.
« Je vais être familière et passer au tutoiement mais je t’en supplie, je t’en prie, prend moi. Par pitié prend. Je te veux dans me cul, dans ma chatte, je veux que tu te finisses dans ma bouche mais par pitié entre en moi. Je ferai tout ce que tu voudras je lécherai le sol pour toi mais s’il te plaît, s’il te plaît défonce moi. Laisse le montage tourner, je veux qu’on puisse le voir en même temps, et prend moi, encule-moi, baise-moi, fais de moi ce que tu voudras. »
Elle n’eut pas besoin de se faire répéter ...
« Hmmm ... C’est exactement ce que je voulais entendre. Mais il y a d’autres choses que je veux entendre sortir de ta bouche. Il y a des choses que je veux que tu dises avant que nous ne commencions. Déjà, à genoux devant mon chibre. Voilà c’est bien, comme ça ... Putain ton regard de chienne me rend fou ... Alors tu vas répondre à mes questions par oui ou par non, et n’essaye toujours pas de tricher. C’est clair ? Bien, bien ... Tu aimes les faciales ? »
« Oui. »
« Parfait, parfait ... Tu fais des gorges profondes, non ? C’est bien ce que tu m’as fait toute à l’heure ? »
« Oui. »
« Formidable ! Tu t’es déjà pris une bite dans la chatte et une autre dans le cul en même temps ? »
« Euh ... Oui ... »
« Mais t’es vraiment une petite pute c’est pas croyable. Si tu savais comme je vais te punir pour tout ça. Je vais t’éduquer, tu vas voir. Bon, bon ... T’avales ? »
« Oui ... »
« Y’a des trucs que tu ne fais pas en fait ? »
« Euh non, non ... Maître. »
« Ça y est enfin tu as compris ! Enfin tu es prête. Tes petites confessions m’ont bien foutu la gerbe, chienne. Que tu es sale, mais que tu es sale. Tu devrais avoir honte. Hein ?! T’entends ! »
Sur ces mots, il saisit sa petite esclave improvisée par la gorge, la prenant de ses deux mains. Elle était absolument fascinée par ses avants bras puissants, bien dessinés et appelant à la violence. Elle sentait l’étau de ses doigts se resserrer autour de son cou. C’est alors que se produisit ce dont elle avait toujours rêvé, fantasme absolu qu’elle n’avait jamais confié à personne. Elle se laissa aller à la noyade et s’oublia dans ses yeux. Au fur et à mesure que son souffle se faisait plus court, elle sombrait dans l’abîme de ses pupilles dilatées par l’excitation. Elle mourrait en lui. La vie la quittait et partait le rejoindre. Cet étranglement, cette strangulation consentie, était ce qu’il y avait de plus beau pour elle. Frôler l’arrêt cardiaque, s’anéantir en autrui et donner ainsi naissance à une autre sorte d’être fait de pulsions, de deux âmes malades semblables. Plus il serrait et plus sa verge se gonflait, atteignant des proportions surréalistes. Son chibre était devenu une poutre dure comme l’acier. Il relâcha soudainement la pression, sentant qu’il était en train de la perdre. Ce relâchement la fit tomber au sol, les mains posées sur le carrelage froid. Ses larmes se mêlaient à sa bave qui sortait d’elle par crachats douloureux et sonores. Cette vision lui apporta une satisfaction immense. Sa chienne à ses pieds, souffrant, perdue, inoffensive et à sa merci. Il s’agenouilla pour se mettre à sa hauteur. Caressa doucement son visage humide. Saisit ses épaules délicatement et la guida pour qu’elle s’allonge sur le dos. Cette position lui apporta un réconfort instantané. La fraîcheur l’enveloppait et lui donnait quelques instants de répit. Pour la deuxième fois, il se laissa envahir par la tendresse et portait sur elle un regard bienveillant et protecteur. Il haïssait au plus haut point ce qu’elle réussissait à éveiller en lui malgré elle. Ces pensées excitèrent sa rage et, en une pulsion incontrôlable, il asséna un coup puissant sur son visage. Son poing vint s’écraser contre sa mâchoire qui craqua en un bruit de chair mouillée. Du sang perla à la commissure de ses lèvres et elle ne réagit même pas, les yeux perdus dans le vide. Elle laissait la douleur s’installer, irradier, elle se sentait vivante. Vivante dans l’agressivité de cet homme. Elle écarta lentement ses cuisses, invitant son bourreau à y loger sa queue. Lui-même ne revenait pas de ce qui venait de se produire. Non seulement il ne comprenait pas son geste, mais en plus il ne comprenait pas sa réaction. Néanmoins, ces réflexions ne l’empêchèrent pas de continuer. Il se plaça à califourchon au-dessus de son torse, empoigna ses deux gros seins gonflés et les pressa de part et d’autre de son sexe. Il se branla ainsi durant de longues minutes. Ahanant et insultant la jeune femme de temps à autres. Celle-ci, tandis qu’il se masturbait, avait tiré sa langue pour laper son gland à chaque passage à proximité de son menton. Sa mâchoire la faisait souffrir mais peu importait la douleur, elle voulait à tout prix goûter sa peau. Pour mieux envelopper son dard, il tirait sans vergogne sur ses tétons endoloris. Il les malaxait et crachait dessus pour mieux les lubrifier. Sa poitrine l’excitait au plus haut point. Il savait pertinemment que, dans quelques minutes, il serait capable de jouir sur son visage. Pour faire durer le plaisir, et pour se tempérer, il jetait des regards furtifs vers l’écran encore actif. Il connaissait ce montage sur le bout des doigts mais restait tout de même effaré par la dureté de ce qu’il avait trouvé. Il découvrait, en réalité, son propre travail, car il n’exécutait celui-ci qu’à des heures bien tardives, dans le confort de son intérieur et de l’alcool. D’où lui venait ces idées macabres ? D’où lui était venue l’idée de ce « jeu » ? Il préférait ignorer ces interrogations et se concentra de nouveau sur les seins de sa jeune amie. Il s’aperçu, en la regardant, qu’il avait oublié son plaisir à elle. Il sentait son intérêt pour la chose baisser. Il voyait bien qu’elle était ailleurs. Cela ne lui plaisait pas du tout. Il lui fallait établir à nouveau son emprise.
« Bon. C’est pas que j’ai pas envie de te prendre ma grande. Mais faut faire durer tout ça. T’as soif ? T’as mal ? T’as b’soin de quelque chose ? Je te veux en pleine forme et prête à subir ce qui va t’arriver. »
Elle sorti de sa torpeur en entendant sa voix. Sa voix qu’il avait grave, ronde et hypnotique, une voix qui sortait de son torse. Claire et impérieuse. Elle acquiesça et demanda timidement si elle pouvait aller boire, et éventuellement se soulager la vessie.
« Ok. D’abord tu pisses, après tu bois. Et tu viens encore de me donner une idée ... Allez, lève-toi et suis mois. »
La jeune femme se releva, tremblante sur ses longues et fines jambes, et tenta de s’accrocher à lui en une étreinte maladroite. Il n’y prêta aucune attention, et la guida jusqu’aux toilettes ... Il la tira par le bras de manière ferme et brutale. L’empreinte de ses longs doigts s'imprimait dans sa chair, le rouge vif contrastant avec la pâleur de la jeune femme éprouvée. Ils durent redescendre l'escalier par lequel ils étaient passés au paravent pour accéder aux cabinets qui étaient assez grands pour accueillir cinq personnes. C’est ici qu'il arracha ce qui lui restait de vêtements.
« Bon voilà, on y est, fais ce que tu as à faire. »
« Je ... Euh ... »
« Non. Je reste. Et je vais te regarder jusqu’à ce que tu finisses. Allez, j'ai pas de temps à perdre. Il me reste encore à entrer dans ta petite chatte et dans ton cul serré. »
Sachant qu'aucune autre échappatoire ne se présenterait à elle, elle céda et posa sa croupe contre la faïence glacée. Lui, avait saisi ce qui restait de sa jupe, et se masturbait frénétiquement dans le tissu moite de son corps en sueur. Il ne la quittait pas des yeux. De longues et interminables minutes s’écoulèrent avant que le liquide jaillisse d'entre ses cuisses. Le bruit de sa pisse sur le fond de la cuvette la rendait honteuse. Elle se sentait humiliée et rabaissée plus que jamais. Elle avait peur aussi. Peur qu’avec cette intrusion dans son intimité il cesse de la désirer. Peur de le répugner. Elle finit en s’essuyant rapidement, tout en essayant de cacher sa gêne. Elle se voulait forte dans cette situation. Elle ne voulait pas de son emprise. Mais, sans qu'elle ne se l'avoue réellement, elle savait au fond d'elle-même que c’était perdu d'avance.
« Parfait. Ça y est, tu es bien dressée comme je le voulais. Tu le sais, non, que maintenant tu m’obéiras ? Que tu ne peux plus faire autrement ? C’est bien ... ça m'excite beaucoup d'avoir une petite chienne comme toi à mes ordres ... Bon. Tu as bien mérité une récompense. Puis comme je dis, quand ça sort, faut bien que ça rentre à nouveau quelque part ! Tu vas boire, chienne. »
Ils remontèrent tous deux à la cabine, croisant sur leur passage quelques curieux fascinés par la jeune femme nue, fragile et soumise.


Vieux frères.


G.s’était levé tôt ce matin-là. Tout se devait d’être parfait : son sac était prêt de la veille, l’appartement dans un état irréprochable, et il avait passé la matinée dans sa salle de bain. Rasé de près, parfumé, enveloppé dans ses vêtements frais et repassés, il pouvait dorénavant partir pour cette journée qui s’annonçait bien particulière.

Sur le trajet, G. pensait à lui. Un nœud d’angoisse se formait dans son bas-ventre. Il n’avait plus eu de rendez-vous avec B. depuis janvier, et appréhendait ces retrouvailles. Aurait-il changé ? Leur complicité serait-elle intacte ? Allaient-ils trouver les mots pour se parler ? Autant que questionnements qui accaparèrent l’esprit de G. tout le long du chemin. Son arrivée à V... le fit sortir de sa torpeur, à peine avait-il eu le temps de se préparer que déjà, il était devant sa porte.

Son cœur battait la chamade, et déjà, de la sueur perlait sur ses tempes. Pour faire taire cette angoisse insoutenable, et pour se donner une certaine contenance, il se lança en un élan inespéré vers la sonnette. Tout se fit très rapidement. On lui ouvrit, il monta les escaliers, et se retrouva à l’appartement 7.

B. était là, fidèle à lui-même. Les cheveux en bataille, une chemise surannée, et les yeux remplis d’une fatigue et d’une malice toutes personnelles.

Un instant de flottement s’installa. Ils étaient là. L’un en face de l’autre. Haletants. Se noyant dans leurs propres yeux. La tension rendait l’air écrasant. Leur souffle était court.

En un geste commun, brutal, et impulsif, les deux hommes se jetèrent l’un sur l’autre. Leurs lèvres vermeilles s’unirent en un échange passionné, leurs langues se fouillaient, et déjà leur sexe prenait une ampleur provocatrice. Il se sentait l’un et l’autre au travers de leurs vêtements, leur verge se frottant timidement, puis devenant de plus en plus pressante. Leurs mains parcouraient leur corps, se perdaient dans les cheveux, sur le visage, les épaules, le dos, le ventre ... Leurs bouches se souillaient tandis que leurs doigts glissaient inexorablement vers le sexe de l’autre, qu’ils finirent par empoigner au travers du tissu ...

N’y tenant plus, les bellâtres se déshabillèrent l’un l’autre et finirent à genoux, à même le sol, au milieu de leurs affaires éparpillées en un joyeux carnaval. Ils se masturbaient à présent à pleine poigne. Leur verge dure et chaude gonflait à l’unisson tandis que les premiers soupirs se faisaient entendre.

Leurs jambes endolories par le parquet dur et froid ne les tenaient plus. B. prit alors les devants, saisissant la main de G. pour l’emmener dans un endroit plus confortable. Ils montèrent dans sa mezzanine, sans échanger un seul regard. Leur fougue les intimidait, et ils n’osaient ni l’un ni l’autre briser ou interrompre le charme qui s’était emparé d’eux. B. allongea délicatement G. sur son lit. G. découvrait son intimité, quelques photos accrochées au mur, des livres, des bibelots ... Son exploration fut de courte durée. B., se postant au-dessus de lui, avec plaqué son sexe turgescent sur le sien et se masturbait avec force et frénésie, laissant la peau lisse de sa queue aller et venir sur la peau chaude de son ami.

Leur gland rond et doux se cherchait, et chaque effleurement tirait à chacun un soupir voluptueux. B., enhardi par les réactions encourageantes de G., remonta lentement ses doigts le long de ses cuisses frissonnantes, cherchant à atteindre un point bien précis ... Sentant les intentions de B. changer, G. eut un moment de panique. Une lueur de détresse s’alluma au fond de son regard. B. sut la capter, déposa un baiser délicat sur ses lèvres en un sourire charmeur, et le rassura.

Le geste fut d’une extrême lenteur et d’une douceur infinie. B. posa son majeur sur l’anus vierge de G. Il en fit le tour, le caressa lentement, l’explora. Jusqu’à détendre peu à peu son anneau serré par l’angoisse des premières fois ... Doucement, il inséra un premier doit. G. grondait, soupirait, ronflait ... Des râles à peine audibles s’échappaient de lui. Peu à peu, il lâchait prise, s’abandonnant entre les mains expertes de celui qu’il connaissait depuis maintenant 20 ans.

B., encouragé par les signes de contentements de G., redoubla d’audace et enfonça un deuxième doigt venant rejoindre l’autre. Profondément. Il sentait les parois de ce rectum, auparavant inexploré, se dilater, s’ouvrir comme une fleur ... Cette initiation s’était figée dans le temps. Les deux vieux frères étaient en apnée. Guettant les réactions de chacun, G. saisit alors le poignet actif de son ami, le repoussa tendrement, et saisit son sexe en signe d’acceptation et d’abandon. Une sorte d’espoir se lisait sur son visage. Une envie nouvelle, un bonheur partagé qui était resté insoupçonné pendant toutes ces années.

Maladroits, ses mouvements ne guidaient guère son compagnon qui semblait bien plus aguerri. Avec adresse et expertise, il dirigea la pointe de son dard vers l’abîme en forme d’étoile, obscur objet du désir. Lentement, très lentement, les cœurs se mirent à battre à l’unisson, les muscles se bandèrent, les regards se perdirent ...

Tandis que B. ouvrait de son gland le cul étroit de G. Le morceau de chair gonflé s’enfonçait dans cet anus timide et caché dans les replis du corps et de la peau. Puis, ce fut au tour de la verge de s’enfoncer, lentement, toujours plus lentement ...

G. se sentait rempli. B. se sentait complet. Ils ne formaient à présent, à eux deux, qu’une seule et même personne. G. ne souffrait pas, bien au contraire, il jouissait de ce sexe nouveau en lui, ce sexe qu’il n’avait jamais osé imaginer. Il était à présent logé en son être. B., quant à lui, moins pensif et plus actif, remarquant qu’aucune douleur n’avait surgi, se mit à l’ouvrage. Il accéléra ses mouvements, explorant toujours plus. Ses coups de reins se faisaient pressants, insistants. G. cherchait sa bouche, sa tendresse, mais B. était perdu dans une sauvagerie montante. Il limait son ami sans plus aucune retenue. Il défonçait son cul sans ménagement. Le plaisir était intense, presque insoutenable. Cette pénétration nouvelle laissait G. sans voix. Perdu. Il ne savait que faire, que penser. Jusqu’où cela irait ? Quels outrages lui seraient infligés ?

G. avait envie d’explorer par lui-même. De découvrir ce pan de sexualité qui lui appartenait à présent. De l’apprivoiser. Il se redressa légèrement, les coudes posés sur le matelas. Il profita de cette position pour dégager le sexe de B., et lui arracha un baiser en suçant sa lèvre inférieure. D’une main sur l’épaule, et d’une légère pression, il inversa les positions et se retrouva au-dessus. Il avait ainsi tout le loisir de l’observer. Sa peau laiteuse, ses boucles d’argents, ses yeux bleus à en faire pâlir les plus beaux ciels d’été ... Il réalisait peu à peu à quel point B. était beau. Cette beauté l’émouvait. Et d’émotion, il porta sa bouche à son sexe. Timidement, agaçant le gland du bout de la langue, le recouvrant de baiser ... Le gobant par moments. Puis, il se mit à descendre. À apprécier sa verge dans toute sa longueur. Dans sa bouche.

Il le suçait, et ainsi suçait pour la première fois. Concentré, les yeux rivés sur la toison poivre-sel de B., incapable de le regarder dans les yeux, G. réalisait à peine ce qui était en train de se passer. Un événement singulier, surréaliste, hors du temps, de l’espace, et de tout entendement. Ses mains parcouraient ses hanches, ses cuisses, son ventre, et venaient s’arrêter à la naissance de son torse. Il l’explorait de la pulpe de ses doigts, appréciant cette peau douce et chaude. B. quant à lui soupirait. Les yeux fermés, le visage grave. Il accueillait avec bienveillance cet ami et ses découvertes. Il le laissait faire pour le mettre en confiance. De temps à autre, ses reins se soulevaient pour permettre à sa verge de se loger un peu plus profondément dans la gorge de G. C’était une fellation complice, spontanée, douce et belle.

Mais déjà, l’envie de le reprendre dans son cul refaisait surface. L’envie de retrouver cette sensation de plénitude avec le membre turgescent de l’ange aux yeux bleus. Il profita alors de sa position pour retirer le sexe de sa bouche et se placer juste au-dessus. Une jambe de chaque côté de ses hanches. B. lui intima l’ordre doux, mais ferme, de s’empaler. Ce que fit G. sans broncher. C’est ainsi qu’il le chevaucha. Faisant aller et venir son bassin d’avant en arrière. Rebondissant sur le bas-ventre frisé de B. qui soupirait de contentement. Le bougre n’avait pas grand-chose à faire et profitait pleinement de la sensation de sa queue dans une cavité humide et accueillante. G., quant à lui, était rouge de sueur, et criait à chaque coup de reins. Il s’exaltait dans cet ébat inespéré et inattendu. Il avait soif de sa propre jouissance. C’est alors qu’en un long râle, soudainement, le climax fut atteint.

Les yeux révulsés, G. expulsa sur le ventre de B. une liqueur blanchâtre et sucrée qui se répandait jusqu’au cœur du nombril. Le tout sortit en plusieurs jets déviés par les secousses et les spasmes incontrôlables de G.

B. était pleinement satisfait. Cette journée qui s’annonçait banale prenait une tournure tout autre que celle prévue, et cela lui plaisait particulièrement. Maintenant que G. avait pu profiter de cette nouvelle expérience, et maintenant qu’il était allé jusqu’au bout, B. allait pouvoir s’amuser un peu. D’une voix ferme, profonde, et troublante, il ordonna à G. de nettoyer son ventre de sa langue. Celui-ci s’exécuta et laissa courir son appendice de chair le long de la peau frémissante de B. Il se délectait du goût de son propre sperme et de l’épiderme de son nouvel amant. Lorsque celui-ci eu tout bu, B. se redressa péniblement, et le regarda dans les yeux. "Maintenant, à quatre pattes. Tout de suite." G. ne se fit pas attendre, et se retrouva le cul en l’air, offert et ouvert. Cette position humiliante ne faisait que renforcer son excitation. B. vint se placer derrière lui, saisit les deux globes de chair, et défonça d’un coup, d’un seul, l’anus béant de G.

Il le lima fortement, longuement, claquant ses fesses et soupirant de mille façons. La tête de G. tournait, à peine capable de réaliser ce qui lui arrivait. C’est alors qu’il le sentit. Le liquide chaud se répandre en lui. Remplissant son intérieur. L’éjaculation de B. avait été si abondante que déjà les giclées sortaient de lui en une fontaine généreuse.

B. n’avait aucune limite dans sa perversité. À peine avait-il fini, que déjà de nouvelles idées lui venaient à l’esprit. Il invita donc fermement G. à se positionner au milieu de son salon, et à s’accroupir sous son regard inquisiteur. Ce que fit G. avec une honte et une gêne non dissimulées. Une fois accroupi, le foutre de B. s’écoula en cascade de son cul. G. souillait le sol malgré lui, assistant sans défense à sa propre humiliation. Son ami s’approcha de lui d’un pas assuré, et tapota son visage en quelques gifles d’approbation. Il était sa chienne, il le savait, et il savourait ce moment avec délice. Les deux hommes se contemplèrent pendant de longues secondes, les yeux plongés dans les yeux.

C’est alors qu’on sonna à la porte. B. et G. se figèrent. Personne n’était attendu. La terreur emplissait leur regard. Une voix féminine se fit entendre :

— C’est C. ! Il y a quelqu’un ici ? J’ai ramené le dessert !

Ils devinrent livides, devinant qui se trouvait sur le palier. Qu’allaient-ils faire ? Lui ouvrir l’air de rien ? L’inviter à les rejoindre ? Faire semblant d’être absents ? Toutes les solutions semblaient à la fois bonnes et mauvaises, à la fois repoussantes et tentantes. Ils connaissaient très bien cette jeune femme, ici, tout près d’eux. Connaissaient très bien son appétence pour la luxure... Mais serait-elle prête à encaisser le choc ?

B. fut le premier à faire un pas hors du lit. Il se rhabilla à la hâte et lança à G. ses vêtements éparpillés sur le sol. Il se précipita vers la porte, la déverrouilla, et ouvrit celle-ci sur un visage radieux, rayonnant.

— Hé bien B., tu en as mis du temps ! Et tu fais une de ces têtes, tu es tout transpirant... Tout va bien j’espère ? Tu es seul ?

B. bredouilla quelques mots inintelligibles.

— Hé bah tu as perdu ta langue ? J’ai entendu du bruit chez toi... Tu es avec quelqu’un c’est ça ? Si tu veux, je peux repasser plus tard...

À ces mots, G. surgit en arrière-plan, en sueur.

— Oh ! Bah qu’est-ce que tu fais là C. ? ça fait plaisir de te voir ! On était juste en train de, hmmm, de régler un problème de tuyauterie avec B. Tu veux boire quelque chose ? Il fait chaud là non ?

C. esquissa un petit sourire. Elle avait compris.


Adolescentia


Le corps blême, fin, élancé. Les membres trop longs, si longs à n'en savoir que faire. Un faon qui ne tient pas debout. On s'assoit, encombrées par nos jambes, nos bras qu'on balance par-dessus des épaules osseuses et frêles. Les lèvres rouges, la plante des pieds rouges, les joues, le nez, le bout des doigts, qui sont autant d'insultes à la pâleur du reste. On se montre, on se touche, on se découvre au travers de l'autre. Des cris d'oiseaux à peine sortis du nid. On tourne et retourne les mains, seul autoportrait possible. Les doigts se tordent. On forme une masse informe, où l'individu seul disparaît pour laisser place à des pépiements, des parfums juvéniles, des dents comme des perles en farandole. Et dans ce tumulte incessant, personne ne remarque le sang, qui s'écoule lentement, de la petite bouche.


Caretaker


Vous êtes ici depuis toujours, une éternité d'une seconde en boucle, qui se répète inlassablement. Sans souffle, sans pulsation, sans rien. Un encéphalogramme plat, les yeux grands ouverts qui ne voient pas. Vous êtes là sans être. Un entre- deux hors de l'espace et du temps, au-delà de la contrainte métaphysique. Un phonographe tourne en silence, se détachant sur le papier peint de fleurs fanées. Les planches usées ne grincent pas, et n'ont jamais grincé. Une chaise en bois est là, seule, jamais personne ne s'y est assis. Sauf peut-être vous, et les autres avants. Salle d'attente ou antichambre, où personne ne viendra vous chercher. Une sensation de calme qui ne s'oppose pas à l'agitation, qui rejoint seulement l'absence totale et absolue.


Carmélites


Les murs, le plafond et le sol ne forment qu'un seul et même ventre. Une paroi de pierre isolant de tout. Au dehors, un soleil éternel brûle les cyprès et gonfle les citrons ; les roches sont chaudes. Au dedans, la chaleur semble aspirer les sons ; l'humidité et la moiteur étouffent tout. De grands bacs sont dispersés de part et d'autre de la salle. À leurs côtés, des pots de terre gardent en leur sein le bouillonnement d'une eau minérale, puisée ce matin. Au-dessus, des rameaux d'olivier viennent obstruer l'ouverture, et suent leurs senteurs lourdes et épaisses. Autour, tout autour, des corps s'affairent. Ronds, roses, en sueur, les joues rouges, les gestes précis et lents. La peau recouverte d'onguents riches d'huile et de cire. S'éparpillent au pied des bacs les bruissements des bures, de la laine, du cuir brun des sandales. L'heure du bain. Silence sur un lieu sans nom et des visages sans autre patrie que Dieu lui-même. Instant volé et interdit, qu'on ne nomme pas.


Kinski


Se noyer dans les yeux de Kinski. Y découvrir le chaos et l'infinie douceur qu'il cache. Se perdre dans sa brutalité, sa folie, son génie, et se laisser faire. Nostalgie de quelqu'un que l'on n'a jamais connu, ni même croisé. L'impossibilité d'envisager une rencontre morte dans l'œuf et enterrée bêtement en 1991. Prophète avorté dans sa montée en puissance, pétard mouillé qui laisse un arrière-goût amer de "et si ?". Alors on se console avec les films qui sont une bien maigre pitance. Comment se rassasier de l'inaccessible et du jamais plus ? Reste la voix, peut-être, qu'on s'approprie mieux que l'image. Qu'on peut entendre partout, tout le temps, à qui on peut faire dire n'importe quoi. Frustration de ne pas percer le secret d'un être, de ne pas pouvoir se nicher sous sa peau pour étudier les moindres recoins. Klaus inspire autant qu'il frustre, comme un corps projeté sur une toile que l'on voudrait saisir, mais qui n'est fait que de rien.


B1


Les boucles, entre chien et loup, couronnent le crépuscule d'un visage à la fois lunaire et terrestre, tandis que la rosée des dernières heures du jour vient perler sur la clairière et les vallons d'un paysage rythmé de courbes secrètes, creusées sur quarante-trois ans d'une vie accidentée. En contre-bas, un ruisseau murmure, grave et sourd, au plus profond des entrailles, et se crée un chemin en rigoles entre les roches et galets, formant l'éternel sourire gamin des premières fraîcheurs. Le tout, caché, par l'ourlet charnu d'une terre glaise et vermeille, généreuse, tendre. L'affaissement délicat du poids des âges disparaît à la première bifurcation qui mène le voyageur hors de la plaine. Ici l'arrondit ferme d'une épaule, là, l'arête d'une clavicule aiguisée. En s'aventurant un peu plus loin serpente un circuit veineux à peine visible mais sensoriel si on y colle l'oreille. Celui-ci mène au bout d'un premier voyage. Quatre nids d'une douceur surréaliste invitent à l'indolence tandis qu'au loin, droit devant, s'activent cinq doigts noueux, burinés, travaillés comme un bois d'acajou. Jamais le voyageur ne trouvera, au cours de milles échappées, entre les chemins de l'index, du majeur, de l'auriculaire, de l'annulaire et du pouce, une peau aussi douce.


B2


Ta voix ... Chant du cygne crépusculaire. Tantôt feulement, tantôt bruissement, un répertoire de tons, de sons, de gammes, réunissant en son sein chaque tonalité allant du fauve au végétal. Un frottement doux, effleuré, de plus en plus insistant, puis rugueux jusqu'à la brûlure. Un murmure caverneux, rocailleux, aux entrailles ruisselantes, se terminant en clapotis à peine audibles. Un chuintement, comme une rumeur, qui s'insinue par tous les pores, qui se fraie un chemin jusqu'à l'âme et aux secrets du cœur de l'amante. Un grondement puissant qui avale tout, engloutit tout, réduit au silence et rend caduc l'absolu.


Q1


Quand le confinement prendra fin, on fera pousser des plantes et des fleurs sur ton balcon. Les racines s’ancreront profondément et perceront la pierre pour venir s’entremêler au sol. Les feuilles grandiront et s’épanouiront comme un ciel de verdure. Nous ferons l’amour dans cette jungle de notre invention, les pieds mélangés à la terre. Le soleil parsemera nos peaux de tâches colorées et la fumée de nos cigarettes prendra des teintures d’opium. Les oiseaux y feront leur nid et chanteront pour nous, gemiront au rythme de nos gémissements. Nous serons fauves sous cette voûte béate et azur. Et nos corps animaux renaitront au zénith de ton balcon.


Q2


Mon amour pour toi me fait crever. Me terrifie. Je ne sais pas aimer, j’aime de travers, j’aime tout en l’air. J’aime trop vite, trop fort, trop intensément. La passion tue et consume tout. Je suis morte depuis bien longtemps, au bûcher de mes propres flammes ardentes. Elles m’ont léché tout le corps et le cœur et ne reste que les cendres. Comment t’aimer correctement sans te blesser ? Comment t’aimer correctement sans t’envahir ? Comment ... Ne plus avoir peur, ne plus se précipiter, ne plus se noyer. Comment aimer normalement et sainement sans se retirer le cœur de la poitrine ? Je meurs de t’animer, je meurs de ton bonheur, je meurs de toutes les étoiles dans le ciel noir de tes yeux. Si seulement tu m’avais connu avant ... Amoureuse de l’amour même. Sans crainte, sans contrainte. Tu ne m’écris pas et je me retiens. Toi aussi, tu me prendrai pour une petite folle. Tu me parles des artistes, de l’amour des artistes, des couples d’artistes. Tu vois, leur brasier, leurs extrêmes. Tu me dis que tu es fasciné. Mais serais-tu prêt ? Serais-tu prêt pour cet absolu ? Pour cette intensité ? Je te l’apporterai volontiers sur un plateau d’argent, une offrande, la tête coupée d’un ange. Mais ne prendras-tu pas peur ? La création à deux. Toi, muse au masculin. Quelqu’un qui ne craindrait pas de se jeter corps et âmes, de se consommer et se consumer. J’écrirai sur ta peau des milliers de poèmes, j’inscrirai dans ta chair toute l’histoire des choses, faisant de toi le porteur des secrets de l’univers. Je t’immortaliserai sur ma rétine, ton visage éclairé par la cendre fumante de tes cigarettes, ta bouche au goulot de ta trompette. Serais-tu prêt à être aimé ainsi ? Assumerais-tu un cœur trop plein de toi ? Je ne crois pas, je ne sais pas.


Q3


Je t’écris des petits poèmes sans conséquence. Je te parles de tes yeux, de ta peau, de tes mains, et tu sembles te complaire dans cette glorification de ton être. Mais qu’en sera-t-il si un jour je te parle d’amour ? Plus que jamais, aujourd’hui, terreur, abandon et rejet sont mes hantises. Je suis prête. Prête à t’aimer sans condition exceptée celle que tu ne me le rendes pas, cet amour. Je suis prête à tout te donner, sans concession, à la seule condition que tu ne me donnes rien. Les portes de mon royaume intérieur sont ouvertes à sens unique. Tout en sort mais rien n’y entre. Avant même le commencement, l’éternel schéma se répète de nouveau. Je pense à toi, je t’écris en pensée, je t’invente milles surprises et milles présents. J’élabore des stratagèmes pour te faire rire, pour ton sourire, pour te faire jouir, pour te faire vivre comme tu n’as jamais vécu. J’imagine, des voyages à l’improviste dans des lieux secrets. Et toi ? Rien, probablement. Ta vie suit son cours sereinement. Le fil de tes pensées ne change pas de couleur. Tu es là, inchangé. Je me réjouis de te voir vivre, de te voir fumer, boire, respirer, discourir, dormir, marcher, réfléchir et ne penser à rien. Tu es là, entier, essentiel, indispensable. Je ne te connaissais pas mais tu es là depuis toujours, tu étais déjà là avant moi. Je découvre ton existence comme on découvre une planète. Émerveillée et surprise par tant de singularité. Et toi, tu me devines seulement. Je te donnerai tout ce dont tu auras besoin pour être heureux, pour reconstruire l’empire de tes dents blanches, pour l’éternel astre qui brille en toi. Je te regarderais discrètement, de loin, accrochée à cette lumière incandescente, satisfaite de te savoir plus vivant que jamais.


Q4


Tu as creusé du bout de l’ongle, machinalement, sans y faire attention, mon plexus solaire. Tu y as fait une première meurtrière pour voir sans être vu. Puis ton doigt a attaqué le cartilage, les côtes, sans effort aucun, te surprenant toi même de l’aisance à percer l’os. Le sang coulait en rigole, se répandant à tes pieds en une flaque chaude, calice à ta toute suprématie sur le royaume de ma chair. Tu as enfin percé la poche de l’amertume. Tout s’est affaissé soudainement, les barrière unes à unes se sont enfoncées dans ma cage thoracique. Et est tombé au creux de ta paume mon cœur meurtri. Mon cœur battant, sanguinolent. Oisillon tombé du nid tout contre ta main. Tu peux laisser ta peau s’imbiber du rouge organique. Ou tu peux montrer le dos de tes phalanges et prolonger sa chute. Peu importe, l’essentiel résidant en le fait qu’il soit sorti de sa cage. L’essentiel étant l’offrande sans concession. Je te l’offrirai pour te réparer, pour que tu le sentes dans ta gorge. L’essentiel étant non pas d’être aimée, mais que tu te sentes aimé.


Q5


J’ai passé la nuit
Tourmentée tour à tour
Par ton ventre
Par tes hanches
Par ton dos
À chaque éveil j’embrassais
Ta nuque comme si
Tout l’univers en dépendait
Comme si
En ce geste unique résidait

Tout l’espoir du monde
Je n’oublierai jamais
La chaleur de ces instants
La moiteur
Ta peau comme le sable du Sahel
Ta peau chaude et dorée
Ta peau comme tapis de chair et de prière
Ta peau semblable à l’absolu


Acide


La pluie tombe de nouveau aujourd’hui. Elle transperce les corps et les remplit. Les boursoufle. La pluie comme un millier de gouttes acides. J’aimerai sentir ma peau se disloquer, fondre et se répandre sur le bitume. Voir apparaître des puits de fumée sur moi et tout autour. L’amour est une pluie de cyanure. Je courbe l’échine et la chair de mon dos se désagrège. L’amour est un asservissement aux coups et blessures. Des doigts dans ma fente, des lames de rasoirs. Une fouille au corps brutale. L’amour prend tout et ne donne rien. L’amour est égoïste, orgueilleux, cruel, individualiste. L’amour vide et jette. J’exècre et répudie la possibilité d’un autre. Je conchie l’idylle et ses mensonges. L’amour comme synonyme de viol et d’impunité. Comme verbe qui ne s’accorde qu’au passé. Comme justification de la violence et de la méchanceté. Comme un prétexte pour la maltraitance. Droit impérieux et supériorité absolue de l’être qui aime. Je ne Veux plus Jamais Être aimée. Et je tuerai tous les affreux.






R


Le soleil est de retour.
La torpeur.
Les nuits plus courtes et les jours plus longs.
Je m’endors paresseusement sur le balcon.
Les jambes nues et le sexe découvert.
Comprendras-tu, le moment venu, cette profondeur qui nous sépare ?
Mes étés sont brûlants et mes nuits d’opaline.
Quand pour toi il n’y a que le corps.

Comment et quand quitteras tu l’enfance ?
Alors que la mienne n’a ni commencement ni fin.
Quel sera le point de basculement ?
Laisse moi découvrir
Les secrets de ta jeunesse
Avant que celle-ci ne disparaisse.
Apprend moi
La fougue et l’insouciance
Je te montrerai l’absolu.






Je ne me masturbe plus


Je ne me masturbe plus. Je ne me masturbe plus à cause des garçons dans ma tête. De leurs doigts et de leur sexe, de leurs mains fines et habiles, agiles sur ma peau et sous mon ventre. Je ne me masturbe plus à cause du temps qui manque et de la fatigue, les moments lancinants, lassants et las. Je ne me masturbe plus, l’écriture et la création remplacent et laissent des traces que je ne fais plus sur mon corps. Je ne me masturbe plus, je ne me scarifie plus, je laisse plus d’empreintes sur ma peau, les autres s’en chargent et m’encrent ou s’ancrent en moi. Je ne me masturbe plus, je pense au travail jour et nuit, je me noie dedans, je me complaît dans la surabondance de tâches qui me font oublier que j’ai une fente qui ne boit pas la même tasse. Je ne me masturbe plus, je pense à ma peur panique des hommes, de l’amour, du fait de ne plus aimer, de ne plus faire confiance, de redouter tout le temps ce qui se passe derrière le masque. Je ne me masturbe plus à cause des cris et des insultes, à cause de l’enfermement et de la solitude terrible en l’espace de quelques minutes. Je ne me masturbe plus à cause du plaisir des autres, du plaisir que je donne aux autres et que je ne me donne plus, du plaisir et du bonheur des autres. Je ne me masturbe plus car la pornographie me fatigue. Je ne m’y retrouve plus, l’impression d’avoir tout vu, tout bu, et la nausée. Je ne me masturbe plus, je me suis fait trop de mal, trop longtemps, trop fort, et j’ai peur de me toucher. Je ne me masturbe plus, et je ne pleure plus. Je ne pleure plus depuis son visage fou à quelques centimètres du mien. Depuis la peur de ne jamais m’en sortir. Je ne pleure plus même dans les moments de liesse. Je ne pleure plus de colère, ni de joie, ni de tristesse. Je ne pleure plus après des années passées à pleurer. Je ne pleure plus, de peur de passer pour une folle. Je ne pleure plus par peur des parasites qui s’engouffrent dans les failles. Je ne pleure plus par peur des autres et de moi. Je ne pleure plus, je garde tout en moi, caché profondément, plus rien ne sort. Je n’arrive plus à être chaleureuse heureuse confiante proche intime là profondément. L’absolu dont j’avais fait mon étendard a disparu. Il ne reste plus que le vide le néant le désert aride seul ici.






Dents de lait


Elle a toujours découvert le monde par sa bouche. Déjà petite, elle y mettait tout ce qui lui passait sous la main. Éponge, craie, crayons, billes, terres, pierres, et plantes. Gavée de couleurs et de textures, elle finissait toujours son exploration par les papilles. Elle se représentait sa langue comme un tapis moelleux, scanner des choses qui l’entouraient, et gâtait généreusement cette douce amie. L’apaisement passait aussi par la bouche. Pour s’endormir, elle suçait son pouce. Tétait un bout de drap, de couverture, l’oreille d’une peluche. Elle s’endormait par succions. Pastilles, cachous, cachets pour la gorge, pour la toux, rien n’échappait à son regard attentif et expert. Elle se délectait des petits bruits mouillés provoqués par cet étrange manège jusqu’à sombrer profondément. Elle aimait par dessus tout aller chez le dentiste. Entendre la turbine dentaire tourner, se retrouver sous la lumière, et profiter comme en une sanctification des sévices que sa bouche subissait. Sentir le détartreur creuser et saigner ses gencives. Le goût froid du métal et du sang, qui partait dans l’aspirateur de mucosités. Elle adorait la sensation du plastique des gants sur sa langue, les doigts du dentiste à l’intérieur de ses joues. Ces années d’observations minutieuses aboutissaient à présent en l’accomplissement de ce qu’elle considérait comme son chef d’oeuvre. Les outils étaient tous réunis, proprement rangés et aseptisés. Elle contemplait le résultat de son intervention avec un soulagement discret. Dans la cuvette d’acier reposaient ses gantelets souillés de salive aux côtés de cotons, cotons-tiges, et divers engins. Son patient endormi par la douleur basculait sa tête sur le fauteuil dentaire. Sa bouche béante et ensanglantée révélait trente-deux petites cavités. Des trous noirs dont on ne voyait pas le fond. Des petits puits mous dans les gencives. La chair tuméfiée brillait sous la lampe d’examen. La langue baignait dans une petite flaque de sang qui commençait à s’écouler en rigoles le long de la commissure de ses lèvres. Elle rêvait depuis toujours de manger ses dents et, à défaut de pouvoir manger les siennes, en avait trouvé d’autres. En formant un petit « o » avec ses lèvres, elle aspirait les dents unes à unes et remplissait sa bouche. Incisives, molaires et canines s’entrechoquaient. Elle jouait avec sa langue, caressait ses joues, tentait de croquer doucement l’émail. Les pleins et les déliés de ses propres perles buccales étaient fouillés par les pics minuscules des racines. Enfin, les unes après les autres, elle les avala. Les dents lisses glissaient jusqu’à son ventre sans accrocs. Doucement, elle se remplissait de dents. Fantasmant son ventre denté pour finir de mastiquer. Lorsque la dernière prémolaire eut disparu, elle s’assit en face de son patient, passa ses doigts sur ses gencives molles et s’endormit ainsi. Un doigt dans sa bouche.


Impressions d'été


Une tâche de lumière sur le parquet. Un corps nu délassé. L’odeur des citrons et de l’olive. Les cigales qui stridulent. Le vent dans les rameaux. Une grenade fendue dans la corbeille en osier. Une bouteille de porto. Le vin a tâché le fond du verre. Des draps blancs, froissés. Les rayons du soleil découpés par les persiennes. Une cigarette encore fumante dans le cendrier en verre. Un bureau et quelques feuilles. Un miroir au mur. Une bouteille de Cognac. Un doigt fait tourner les glaçons. L’ombre de la terrasse. Les graviers. L’écorce des orangers. Une nappe à carreaux. Un transat pour la sieste. L’herbe séchée. L’embrun. Les bruits de la mer au loin. La quiétude. Le paillasson et le rideau à franges. Une bouteille de pastis intacte. Elle a bu la tasse. Elle rêve des premiers jours de canicule. La torpeur des villes, et l’odeur de l’asphalte. Allongée à même le bitume. La chaleur transperçant chaque pore de sa peau, la pénétrant. Elle rêve de la lumière blanche et écrasante du soleil au zénith, une lumière blême qui n’épargne personne. Personne dans les rues, tout le monde cloîtré, juste elle au bord de la route. La sueur forme une flaque sous son corps qui d’un geste s’évapore et diffuse son odeur. Sieste salvatrice des membres engourdis, d’une agonie astrale brûlante. L’envie de se masturber, mais pas la force. L’envie d’un corps qui remplacerait ses doigts, mais qui tiendrait encore plus chaud. Le corps se liquéfie au sol. Le bruissement des insectes qui grouillent à la recherche d’ombre dans les replis de la terre. Lézarder. Elle aime mourir dans la fournaise. Elle aime la moiteur. Elle aime le tournis provoqué par le moindre mouvement de tête. Elle aime la sensation de l’eau fraîche dans son larynx après le crépuscule. La plante des pieds sur des pierres fumantes, la plante des pieds qui brûle, rester là pendant des heures et brûler sur place.